L’Église Russe en 1931
Français
Janvier 1932
L’Église Russe en 1931
I
Au cours de l’année 1931, il n’y a pas eu dans la vie de l’Église russe un évènement qui ait autant attiré l’attention de tous. Dans la presse étrangère, surtout au début de l’année, on a accordé beaucoup d’attention à la question des relations entre l’émigration et l’Église Russe. Le passage d’une grande partie du clergé émigré et des ouailles dans la juridiction du Patriarche de Constantinople a été un grand évènement pour l’émigration, mais pour l’Église Russe, cela n’a été qu’un épisode dans la lutte que le Trône patriarcal Œcuménique mène depuis longtemps contre l’Église Russe.
Sur la vie de l’Église Russe directement, en revanche, durant l’année passée, on a très peu écrit dans la presse de l’émigration. Mais si dans cette vie, il n’y a pas eu particulièrement de grands évènements, cela ne signifie pas que rien ne s’y soit passé qui soit digne d’attention.
Habituellement, on accorde une attention bruyante à un incident qui a fondamentalement très peu d’importance et influence à peine la marche des évènements. Mais des processus profonds, et ayant une importance réelle, capitale et même vitale, ont été, dans une certaine mesure, peu remarqués. Mais en réalité, de la direction et de la force de développement de ces processus profonds, dépend le sort religieux de notre peuple.
Ce qu’il faut remarquer d’important dans la vie de l’Église Russe en 1931 ce sont des processus de la vie dont l’avenir dépend, qui ont pris leur point de départ seulement dans les années précédentes, et qui se sont révélés plus clairement et précisément cette année.
Le processus principal est la mort de l’ancienne vie et la naissance de la nouvelle. La question essentielle, posée par l’œuvre athée et par toute l’affaire du communisme devant le peuple Russe est, l’Église est-elle une partie indissoluble composant l’ancien monde, et l’ancienne vie est-elle morte avec ceux-ci – ou bien l’affirmation du communisme que l’Église n’a pas de place dans la vie nouvelle n’est-elle qu’un mensonge effrayant ? Devant cette question, l’Église doit témoigner d’une manière vitale que « L’Esprit souffle où Il veut et tu entends Sa voix, mais tu ne sais ni d’où Il vient, ni où Il va », et conquérir pour elle-même une place dans les conditions de la vie nouvelle.
Le communisme attendait la perte de l’Église déjà dans les premières années mêmes de la révolution. Il pensait qu’après avoir perdu le soutien du pouvoir de l’État, l’Église ne pouvait plus exister. En voyant que l’Église ne mourrait pas, le communisme l’a expliqué par le fait que celle-ci n’existait que grâce au soutien des NEPmans (les partisans de NEP) et des paysans aisés (les koulaks), qui représentaient à ses yeux les forces de résistance de l’ancien monde à la vie nouvelle. Il attendait de remporter la victoire finale sur l’Église ainsi que sur toutes les autres religions en général, après la liquidation définitive de la « NEP » et « l’abolition des koulaks comme classe ».
À la fin de 1929 et au début de 1930, un nouveau déluge destructeur s’est abattu sur la vie du peuple Russe. « Les éléments capitalistes » de la ville et du village ont dû être ôté de la face de la terre, les racines de l’ancienne vie ont dû être arrachées. Pour l’Église ce moment-là a été exceptionnellement difficile : selon le projet du communisme, c’est l’Église qui devait être ôtée au premier chef. Mais c’est justement là que la nature céleste de l’Église s’est révélée. Si l’Église était juste une institution terrestre, seulement une organisation humaine, elle aurait dû être perdue. Mais elle n’a pas été perdue, et par ce fait une fois de plus elle a attesté sa nature céleste, insurmontable et invincible.
Les faits de la vie affirment que c’est l’Église Orthodoxe qui est l’Église véritable, dont on a dit que « la porte de l’enfer ne la détruira pas ». L’athée (№ 46, 1931) en se vantant de la diminution des membres des associations religieuses au cours de cette année, donne les nombres suivants pour la région de Kreminchoug : l’église du Synode de la Rénovation (Obnovlentsy) avait 1258 membres, mais il en reste à présent 208; on trouve une baisse brutale chez les vieux croyants – on est passé de 3139 à 73 personnes. L’Église autocéphale ukrainienne, comme on le sait, s’est dissoute elle-même. Les communautés romaines et luthériennes ont été détruites complètement. Les communautés juives ont été diminuées de moitié, ils étaient 1690, et ne sont plus que 831. Pendant une certaine période on a observé dans la terre de Kremetchouga une augmentation des organisations des sectes. Maintenant nous avons l’inverse : la communauté des baptistes a baissé de 284 jusqu’à 80 personnes ; le nombre des chrétiens évangéliques a baissé de 77 jusqu’à 29. Seule « l’Église de Tikhon » a sauvegardé 9202 membres sur les 14 523 membres enregistrés, plus de neuf mille avec le chiffre global des personnes enregistrées qui sont moins de onze mille(?).
Il est étonnant et considérable que ce soit justement l’Église Orthodoxe qui a été le plus étroitement liée au monde ancien, que la révolution a frappé avec une force particulière, et qui pendant toutes ces années a été d’une certaine manière la plus grande persécutée et étouffée, et que ce soit précisément celle-ci qui représente autant maintenant une force considérable. Et ce qui est aussi étonnant et remarquable est que l’Église Orthodoxe qu’on a accusée tout le temps d’être réactionnaire et en dehors de la vie, est actuellement un facteur d’avant-garde de la vie Russe. Celle-ci s’est placée de la sorte qu’elle pouvait et allait inévitablement prendre de plus en plus de place dans l’évolution ultérieure de la vie du peuple quand, avec l’accélération de l’élimination du communisme, les processus de création seront renforcés par la naissance de la vie nouvelle. Les humeurs eschatologiques malsaines qui sont apparues avec tant de force dans tous les courants ecclésiastiques d’opposition et des sectes seront réduites de plus en plus à rien. Mais l’énergie spirituelle accumulée lors de la persécution et des souffrances au lieu d’être dépensée du moins pour une part en lutte intestine et ecclésiale interne sera complètement orientée vers la conquête des âmes éloignées de l’Église, ainsi que de celles qui ont été élevées dans les conditions d’un nouveau paganisme, ou dans l’éloignement de l’Église et même dans l’opposition à celle-ci.
La collectivisation presque totale de l’agriculture des paysans et la destruction de la classe des paysans aisés – des « koulaks » – ont complètement changé le visage de la campagne russe. La paysannerie russe, représentant la majorité écrasante du peuple Russe jusqu’à ces dernières années était encore un rempart de la vie ancienne. Même si cela était pour une grande part passivement, cette dernière résistait à toute nouveauté et grâce à cela il y avait encore place pour certains espoirs de restauration. Maintenant cela a probablement (de ce côté) été cassé définitivement. Actuellement la paysannerie est presque définitivement prolétarisée autant que les autres couches du peuple Russe.
Mais cela signifie-t-il la victoire de la doctrine communiste et sa partie indissoluble – le matérialisme irréligieux ? Au moment du plus fort de l’accomplissement violent de la collectivisation, on a affirmé : « L’athée convaincu comprend lui-même qu’un kolkhoze avec l’église et le pope est quelque chose de digne de la revue humoristique Bezbojnik u stanka (L’athée à côté de la machine-outil) » (no 2 1930). Mais maintenant, deux ans après, nous apprenons dans la même presse athée la grande quantité de faits concernant « la célébration des fêtes ecclésiales dans les kolkhozes ». Par exemple, dans le kolkhoze du nom de Molotov le soviet du village de Karmalsky, de la région de Samara, « les membres du kolkhoze pendant les jours des fêtes religieuses ne reprennent pas leur travail. Le gouvernement du kolkhoze soutient la dévotion des kolkhoziens, « les brigades de grandes économies de grands kolkhozes de grain « Kanat » de la région de Staline ont célébré « toutes les fêtes religieuses et les jours du Seigneur » (Bezbojnik (L’athée) du 15-XI-1931). Si c’était uniquement le cas de célébration par habitude, « de conservatisme routinier », alors les athées ne se feraient pas tant de mauvais sang. Ce qui leur fait particulièrement peur est « le conformisme des popes pour la collectivisation », « la tentative de s’adapter aux conditions changées » (Antireligioznik no 10). Il apparait que les religiozniki (les personnes religieuses en péjoratif) « ont mis l’accent sur la pauvreté », ont même « publiquement proclamé la direction vers la pauvreté ». Maintenant dans les conseils ecclésiaux, on choisit « les ouvriers, les ouvrières, les paysans pauvres, les salariés agricoles, les paysans moyens », auprès des conseils on organise « des groupes de pauvreté », généralement, on essaie d’attribuer à l’église « un caractère prolétaire de paysan pauvre ». Selon l’affirmation de l’Antireligioznik dans son aspiration d’attirer à ses côtés les paysans pauvres… les tserkovniki (en russe des gens d’Église en péjoratif) ont créé le terrain pour les discussions comme quoi l’Église est le défenseur des travailleurs ». L’Auteur de l’article cité reconnait qu’à travers « la prolétarisation des conseils ecclésiaux et sectaires, on détruit l’avantage superflu qui est aux mains des athées ». Tout cela témoigne que l’Église Russe ne meurt pas et ne va pas mourir, qu’Elle lutte pour son avenir, sans mettre de côté sa propre arme, en reconquérant les âmes des Russes sur le communisme athée.
Cette lutte est menée non pas seulement à la campagne, mais aussi en ville et à l’usine.
Traduction Yves Avril