La campagne « anti-Noël » en Russie soviétique

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Janvier-février 1929

La campagne « anti-Noël » en Russie soviétique

Cette année la préparation de la campagne anti-Noël a commencé tôt. Déjà dans le numéro d’octobre de L’Antireligieux F. Olechouk publie un article sur des questions d’organisation de cette campagne. Avec une force particulière il insiste sur la nécessité absolue de reconnaître que Noël n’est pas notre fête et qu’il vaut mieux ne pas la fêter du tout ! Tenter d’organiser une sorte de « Noël rouge » avec des « sapins rouges » est pour lui absolument nuisible. Les bolcheviks recommandent de faire tout pour que les ouvriers dans les ateliers et les usines, les paysans dans les villages, acceptent de renoncer à la célébration de Noël et de la déplacer à un autre jour, rattaché à des fêtes prolétariennes ou révolutionnaires. Mais, ajoute Olechouk, « il ne faut chercher à obtenir cela que là « où le terrain a été déjà préparé ». Le pouvoir soviétique aujourd’hui ne se décide pas à interdire la célébration de Noël ou plutôt il n’ose pas.

D’ailleurs les athées appellent à « avertir sévèrement » que l’autorisation de la célébration de Noël, ne concerne qu’une seule célébration, celle selon le nouveau style et qu’une « deuxième fête, selon l’ancien style » ne sera pas tolérée.

Après ces appels à de « sévères avertissements », l’auteur soudain s’adoucit et écrit déjà modestement : « Là où la question du déplacement de Noël est encore prématurée, il faut au moins utiliser le congé de la fête pour des distractions culturelles et sensées ». Et il donne tout un plan d’« offensives sur la Russie croyante aux jours de la Naissance du Christ. » « Ici les efforts de la seule Union athéiste, dit-il, ne suffiront probablement pas : il faut, par exemple, que les théâtres soient ouverts aux prix les plus abordables, il faut que du matin jusqu’au soir les cinémas fonctionnent, éloignant la population de l’église, il faut que soient organisées pour la jeunesse des compétitions sportives, des excursions, des concours intéressants. Il faut enfin que les femmes, les maîtresses de maison, trouvent pour elles quelque chose qui les incitent à oublier l’église. Tout cela n’est réalisable qu’à la condition que se joignent à l’Union athéiste se joignent à la campagne anti-Noël de façon organisée, toutes les autres organisations soviétiques et sociales : syndicats, clubs ; bibliothèques, écoles, sections féminines etc. Les Unions athéistes devront au préalable élaborer un plan de campagne, le soumettre pour approbation à toutes les organisations intéressées et par là assurer à la campagne le dynamisme nécessaire.[1] »

Les derniers numéros des journaux soviétiques parlent beaucoup de la façon dont se développe la campagne anti-Noël. Le plan si bien équilibré révèle tout à coup défaut sur défaut, « une suite de manques de coordination ». Surtout il apparaît surtout que le travail antireligieux lui-même n’est pas à la hauteur. « Nulle part autant que dans le travail antireligieux, se plaint la Komsomolskaia Pravda, on ne voit un tel manque d’originalité, une telle routine, ces refrains de vieilles chansons. Il est grand temps, par exemple, de revoir les formes et le contenu du « Noël komsomol.[2]» La campagne anti-Noël, sermonne le journal, ne doit pas être limitée dans le temps, accélérée, elle ne peut pas se borner à des spectacles de variétés et une activité de club. L’ennemi de classe se sert de la religion pour tenter de soumettre la partie arriérée des travailleurs et d’accroître son poids spécifique. Nous devons remplir les activités antireligieuses d’un contenu d’actualité, mordant.[3] » Cette insistance est belle et bonne dans les pages d’un journal, mais dans la réalité la situation est telle qu’il est difficile de compter sur un succès extraordinaire.

« Le défaut principal de tout le travail antireligieux – se plaint L’Antireligieux, – est sa basse qualité. Nous nous contentons toujours de conférenciers médiocres, de conférences piteuses, d’exposés sans originalité, de sujets abstraits, prouvant une connaissance insuffisante de l’ennemi autant que des intérêts de leurs auditeurs ». Le chef idéologique et l’inspiratrice de tout le travail antireligieux, l’Union athéiste même, exprime son malaise : « Du point de vue de l’organisation l’Union athéiste est encore très fragile ; dans les gouvernements, toute une série d’organisations, pendant des mois, ne donnent pas de nouvelles, les cotisations des membres ne sont pas perçues, le kopek international n’est pas versé, beaucoup de membres n’ont même pas de cartes d’adhérents, les cellules ne sont pas constituées partout.[4] » Plus loin suivent les encouragements d’usage à l’agitprop : « Il faut se reprendre vigoureusement. La période de révolution culturelle exige de nous le développement de l’activité antireligieuse de masse. L’Union athéiste doit se transformer en une organisation de masse. Les masses pendant la révolution se sont considérablement développées (c’est là une des causes d’échecs de l’Union athéiste. NDLA). Elles exigent davantage de méthode en profondeur, sérieuse, scientifique. Aussi l’Union athéiste, si seulement elle veut devenir une organisation de masse, doit, de façon importante, élever la qualité de son travail. Conscience des nouveaux cadres de base, rééducation professionnelle des cadres existants, recrutement pour la propagande antireligieuse de cadres de l’intelligentsia soviétique, organisation d’un enseignement des questions religieuses dans les universités et les instituts de recherche scientifique, voilà les tâches qu’il est indispensable de réaliser pour élever la qualité du travail. La campagne anti-Noël doit encore et toujours fixer l’attention des athées sur ces tâches immenses et inspirer à l’Union athéiste la nécessité de la discipline la plus stricte et du sens des responsabilités le plus rigoureux dans son travail.[5] »

Mais « l’élévation de la qualité du travail » ne semble pas du tout se faire.

« Le Comité de district de Zamoskvoretch’e de la V.L.K.S.M.[6] constate la Komsomolskaia Pravda (- et cette constatation est justifiée pour la majorité des autres comités de districts et des comités de gouvernements de l’Union athéiste) mène la préparation de « noël » mollement. Ce n’est que tout récemment qu’a été créée une commission pour la réalisation de la campagne antireligieuse. La Commission, à part la rédaction d’un plan, ne se hâte pas de faire quoi que ce soit. Dans la maison de district du komsomol on est censé réaliser une série d’exposés sur des thèmes religieux On a distribué des instructions dans les cellules. Aucune cellule n’a su entreprendre de reporter les jours de fête. On ne voit encore nulle part d’animation dans l’activité des cellules athéistes. Telle est la situation dans les cellules les plus importantes du district : dans l’usine « Press », dans « Tsinbdel », dans les ateliers « Octobre Rouge, dans la typographie modèle etc.

« On a découvert, dit le correspondant, que dans une fabrique de Krasnokholmmi aucune activité antireligieuse n’a été réalisée par la cellule du komsomol. Des 200 komsomols qui travaillent dans la fabrique, on ne compte que 11 membres dans la cellule athéiste. La cellule du komsomol a organisé une réunion sur le travail antireligieux, mais, à part des propositions de « renforcer », « approfondir », rien n’a été fait. [7]»

Pour élever le moral on insiste avec force sur les « résultats obtenus », on signale et on fait l’éloge de certaines cellules où cela marche un peu mieux, comme par exemple dans la fabrique de chaussures Bourevestnik. « Dans les ateliers, indique avec enthousiasme une notice, on réalise des entretiens de masse avec la jeunesse et les ouvriers sans parti. La cellule s’est donnée pour tâche d’attirer le plus grand nombre de komsomols dans l’Union athéiste. La veille de « noël » (le mot Noël se met partout entre guillemets), la cellule réalise un grand carnaval, on prépare une excursion de masse à skis. »[8]

Mais les résultats apparemment se comptent sur les doigts de la main.

Dans les coopératives, cela ne réussit pas non plus. « Elles se prépare souvent beaucoup mieux pour les fêtes religieuses que pour les fêtes révolutionnaires. Les jambons, les oies, les décorations des sapins envahissent tous les magasins, on améliore artificiellement l’approvisionnement de tous les articles de première nécessité, même en vêtement et chaussures… …Dès maintenant quelques grands magasins d’Etat et des coopératives décorent leurs magasins pour « noël ». Des foules de passants, en majorité des travailleurs, mais plus près de la banlieue, ce ne sont que des ouvriers, admirent cette propagande artistique de « la prêtraille. »[9]

Nous sommes frappés, déclarent dans leur lettre au journal Komsomolskaya Pravda les délégués au congrès des correspondants agricoles, par un fait scandaleux auquel nous avons assisté à Moscou : la fête religieuse de Noël approche. Au lieu de faciliter partout la propagande antireligieuse, de faire pénétrer avec le parti et la communauté prolétarienne les fêtes révolutionnaires du prolétariat, et ne pas aider les prêtres, rabbins et auteurs porteurs de « l’opium du peuple », certains dirigeants des magasins d’Etat et de coopératives se comportent autrement : d’immense vitrines sont décorées de sapins et de jouets de noël comme cela ne s’était pas produit les jours de fêtes de la Révolution. Nous demandons aux représentants des ouvriers de Moscou – le Mossoviet : à qui profite une telle agitation autour du sapin de Noël ? Pour s’attirer la clientèle des NEPmans[10], les magasins de Moscou organisent la vente de ces « produits de première nécessité ». Par qui les administrateurs de ces magasins veulent-ils voir approuver cette activité ? Par les prêtres, les hystériques, les marchandes de bazar et les nepmans ? Nous trouvons cela scandaleux, particulièrement dans la capitale rouge et demandons au Mossoviet d’y répondre. »[11]

Les coopérateurs et les commerçants soviétiques, s’ils le pouvaient, auraient répondu à ces zélateurs de l’athéisme à peu près ceci : « C’est bien à vous de manifester et de réclamer mais la vie est plus forte que vos jugements, on ne la rature pas, on ne la supprime pas par des « questions » pleines de fiel. »

« Le petit-bourgeois, le koulak, et le marchand se préparent à Noël, écrit un éditorialiste de la Komsomolskaya Pravda, en s’occupant de festins, de sapins et de beuveries, ils n’oublient pas leur mission « religieuse » et recrutent des partisans du camp des prêtres. L’ennemi de classe développe une offensive sous le couvert de la croix et de la prière, revêtu de la soutane du prêtre, dans le rôle de l’adepte de secte. Les prêtres et les marchands cherchent à « diriger » les masses. A Stalingrad, Ivanovo-Voznesensk, dans des dizaines d’autres villes, des mercantis et des « ci-devant » s’installent dans les conseils des églises et à partir de là mènent l’agitation glissant leurs mots d’ordre de nantis dans des paroles et des chants religieux. Ils prêchent la fraternité humaine au-dessus des classes, ils appellent à ne pas s’opposer au mal, en s’efforçant de détourner la jeunesse de l’armée rouge, de la défense armée, rêvant peu à peu à la renaissance « du bon vieux temps ». Dans le district de Basse-Volga, de grosses églises ont leurs « colporteurs » payés – des agitprop, qui circulent dans les villes et les villages. Les gens d’église, cherchant à rallier la jeunesse, organisent leurs « jeunesses chrétiennes », des détachements de « pionniers blancs » et des « fillettes chrétiennes ». Les jours de Noël sont des jours d’activité animés par les prêtres et les adeptes de sectes ». Plus loin dans le journal on retrouve des raisonnements sans fin sur le thème : « il faut se préparer à temps à la résistance, ni les contes sur le père Noël ni les sapins ne peuvent cacher le vrai visage de la fête de Noël » etc. Mais en attendant, « au moment où les prêtres et les adeptes des sectes développent une activité extraordinaire, beaucoup de cellules athéistes vivotent, en se contentant de conversations, lectures de littérature défraîchie, datant de 1920, et d’exclamations menaçantes contre les prêtres ».[12]

Finalement, sentant que dans le domaine de la lutte idéologique l’athéisme est condamné de façon fatale à la banalité, qu’ici les athées sont toujours menacés par l’échec, l’auteur de l’éditorial aspire à d’autres méthodes, plus habituelles – des méthodes de violence, de persécution ouverte. « Certains antireligieux, écrit-il, pensent nécessaire de combattre le danger religieux, en se bornant à de tranquilles conférences végétariennes (évidemment « il a soif de sang ») sur la religion et la science, à des malédictions à l’adresse de l’ivrognerie, la goinfrerie. » « Il faut comprendre, poursuit-il, que la religion et la prêtraille sont devenues une des forteresses les plus importantes de l’ennemi de classe : ce n’est pas pour rien que le marchand et le koulak ont pris place dans les conseils des églises…La lutte contre la religion est une lutte avec l’ennemi de classe, la lutte pour la jeunesse, la lutte pour la révolution culturelle. » Là, il faudrait comme par le passé crier « à mort », mais les temps ne sont plus. Aussi, à contrecœur, il faut parler de « moyens pacifiques » d’action, appelant non pas tant à l’offensive qu’à la parade. « Aujourd’hui, dit l’auteur pour achever son article belliqueux, en préparant la campagne antireligieuse, rappelons les leçons des années passées, rappelons comment les prêtres et les sectaires se sont introduits dans les ateliers et les usines, répandant leurs « messages » et leurs brochures pour les fêtes. Les années passées nous avons agi trop mollement, nous avons longtemps réfléchi, au lieu d’intéresser les masses aux affaires antireligieuses, au lieu d’étendre un filet de « coins antireligieux[13] », au lieu d’attirer tous les boute-en-train et organisateurs de loisirs dans nos clubs et nos maisons du peuple. Dans nos clubs on s’ennuyait à de longues conférences, les gens fuyaient nos soirées pour « se rafraîchir » dans l’église la plus proche. Que les jours qui précèdent Noël soient consacrés à des conférences mais les soirées anti-Noël en organisant des concerts, des représentations, activités de toutes sortes intéressantes et attractives doivent détourner les ouvriers et la jeunesse ouvrière des prêtres et de l’église. Mobilisez les forces. Que les clubs rivalisent avec les églises. Organisez une résistance combative contre les prêtres et les sectaires. »[14]

Les ennemis de la foi et de l’église font du tapage, ils ragent, ils calomnient, ils blasphèment, étouffant de fureur. Mais nous croyons qu’aujourd’hui comme dans les années précédentes – de nouveau s’accomplit la prophétie du Psalmiste – « les nations s’agitent en tumulte, et les peuples méditent de vains projets » (Ps 2) mais « le solide fondement de Dieu reste debout, avec les paroles qui lui servent de sceau – Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent » (2 Tim 2, 19).

Traduction Yves Avril


[1] L’Antireligieux.

[2] Komsomolskaia Pravda, 5 décembre 1928.

[3] Komsomolskaya Pravda, 5 décembre 1928.

[4] L’Antireligieux.

[5] L’Antireligieux, N°10, 1928.

[6] Union communiste léniniste pansoviétique de la jeunesse (Vsesoiouznyi Leninskii Kommunitcheskii Soiouz Molodeji)

[7] Komsomolskaya Pravda, 7 décembre 1928.

[8] Komsomolskaya Pravda, 6 décembre 1928.

[9] Komsomolskaya Pravda, 9 décembre 1928

[10] Les « NEPmans » : les gens qui se sont enrichis pendant la Nouvelle Politique Economique (NDT)

[11] Komsomolskaya Pravda, 5 décembre 1928.

[12] Komsomolskaya Pravda, 8 décembre 1928.

[13] Pour remplacer le « coins rouge » où est placée l’icône dans les maisons (NDT).

[14] Komsomolskaya Pravda, 8 décembre 1928.

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