L’échec des offensives contre la religion

MLADOROSS, 1930, n°4

L’ECHEC DES OFFENSIVES CONTRE LA RELIGION

Au cours de l’hiver 1929-1930, la lutte contre la religion en Union Soviétique a pris des proportions d’une ampleur telle qu’on n’en avait jamais vu durant les années bolchéviques. Nous pouvons en juger par cet aveu publié dans la Komsomolskaya Pravda du 17 janvier, qui dit qu’ « à l’heure actuelle, on mise clairement et ouvertement sur la liquidation de l’Eglise et l’anéantissement complet des préjugés religieux ».

Les choses sont allés si loin qu’on a soulevé la question de « la fermeture de tous les foyers d’opium à Moscou (L’Athée). L’un des principaux dirigeants de la ligue, Olechtchouk, écrit dans le numéro du 16 février : « L’organisation moscovite des athées a mené une large campagne pour la fermeture de tous les lieux de prières à Moscou, dans les principaux centres du département de Moscou, dans les cités ouvrières, et dans la plupart des kolkhozes ».

L’Athée Ouvrier, n°4 de 1930, nous informe que « l’année dernière à Moscou, 93 lieux d’agit-prop de popes ont été fermés, mais 240 églises ne le sont toujours pas ».

Maintenant, ils demandent la fermeture complète de toutes les églises. Dans ce même article d’Olechtchouk, on peut lire : « Il est temps de poser cette question. Au moment des dernières élections au soviet des ouvriers de Moscou, nous avons reçu des milliers de pétitions demandant la fermeture des églises. Pas une église n’a pu y échapper ».

Un autre auteur athée, dans le même numéro du même journal, écrit : « Les ouvriers de Moscou adoptent quotidiennement des résolutions sur la fermeture complète des lieux de culte et il n’y a aucune raison de tarder à le faire. A Moscou, la capitale du prolétariat, il faut effectuer la liquidation des dieux, des églises, des synagogues et des mosquées d’une manière particulièrement rapide et énergique. Des centaines de lieux de culte, parfaitement équipés et spacieux, doivent être transformé en centaines de clubs, de cantines, de salles de cinéma. »

Comme nous le savons, ce projet d’anéantir radicalement et sans tarder la religion en Union soviétique n’a rien donné. Iaroslavski, le dirigeant principal de la Ligue des Athées, dans son discours au plenum de la Ligue qui a eu lieu fin mars, a été obligé d’avouer que : « L’idée que nous pouvons anéantir la religion en une seule offensive n’a que des résultats négatifs… Par exemple, dans le village de Strougovaïa Boudia, district de Klinitsa, le soviet du village a décidé de fermer l’église sans préambule. Par la suite, les femmes ont obtenu la réouverture de l’église. A qui revient la victoire ? C’est la victoire de la religion sur notre étourderie, le manque de volonté de travailler sérieusement avant d’entreprendre une action précise. C’est nous-même qui fournissons des armes à nos ennemis. »

L’échec de « l’offensive » contre la religion est évident. Maintenant les athées eux-mêmes sont conscients du fait que le danger le plus grand est celui qui consiste à confondre authentique mouvement de masse antireligieux et mesures administratives. La lutte contre les lieux de culte a été prise comme une lutte contre la religion. Dans plusieurs villes, on a entrepris une sorte de campagne pour la fermeture des églises. La population n’a pas été préparée, les sentiments religieux n’ont pas été brisés. Au lieu d’effectuer un travail de sensibilisation, on s’est contenté d’organiser des réunions formelles au cours desquelles on a obligé l’assemblée à prendre des résolutions demandant la fermeture des églises : « Le principal c’est de fermer » – c’est ce que pensaient les activistes. La pauvreté, 12 avril.

En guise d’autocritique, les journaux soviétiques racontent ouvertement comment se sont déroulées de telles réunions. Par exemple, dans le village de N., district de Staro Oskolski, la réunion concernant la fermeture de l’église a eu lieu le 14 janvier. « Cinq cents personnes environ sont venues à la réunion. Au début, les membres du Praesidium ont lancé l’avertissement suivant : « Attention, citoyens ! ceux qui gêneront notre travail seront envoyés devant les Instances. Les citoyens n’ont pas bougé, ils ont eu peur. Le camarade Kovalov a fait son discours. Certains ont compris, d’autres non. Le camarade Sisoiev a pris la relève. Il a parlé de l’athéisme, il a beaucoup parlé. Quand il a terminé, le président de la réunion a dit : « Citoyens, à vous de poser des questions ». Mais les citoyens n’ont pas bougé. Ils ont eu peur – le moindre de leurs gestes était observé. Voici pourquoi les citoyens sont restés insatisfaits de la réunion ». (La pauvreté, même numéro).

Les numéros d’avril de L’ouvrier athée révèlent que plusieurs organisations gouvernementales ont trop pris goût à la fermeture des églises, à l’autodafé des icônes. Par exemple :

« Plusieurs faits dus à des déviations de gauche ont eu lieu dans le district de Riazan … En un temps très bref, 192 églises ont été fermées sans aucun travail préparatoire. De plus, les athées de Riazan n’ont réussi à adapter que 31 églises aux besoins des associations culturelles. Ils se sont contentés de mettre un cadenas sur 83 autres. De telles déviations, signalées dans d’autres districts, ont tout naturellement provoqué le mécontentement des croyants, et contribué au renforcement de la propagande koulak. »

Après toutes ces déclarations proclamant qu’il n’y a pas de persécutions antireligieuses en URSS, la presse officielle avoue maintenant que des centaines d’églises ont été fermées de force. Un mois plus tard, lors du plenum de la Ligue des Athées, le même Olechtchouk qui prônait la fermeture de toutes les églises de Moscou, plaide contre « les déviations, les fautes et l’engouement ». Avec beaucoup de malhonnêteté, lui et les autres dirigeants du mouvement athée rejettent la faute sur les exécuteurs de leurs propres ordres, chassés du Parti et parfois même envoyés devant les tribunaux.

Nous possédons déjà plusieurs témoignages sur les vraies raisons qui ont poussé les athées à battre en retraite et à mettre fin à leur ultime offensive, particulièrement violente. Le cadre de cette publication ne permet pas d’en parler en détail. Nous ne voulons que signaler les principales causes de l’échec des athées.

Dans la Russie contemporaine, il faut prendre en compte à la fois la situation religieuse et la situation politique générale. Le virage à droite dans le domaine de la politique antireligieuse du gouvernement soviétique est bien sûr étroitement lié au virage de la politique soviétique à l’égard de la paysannerie. A en juger d’après la presse soviétique, la résistance de la paysannerie est particulièrement ferme dans le domaine de la religion ; dans un grand nombre de localités, la collectivisation effectuée par le gouvernement a été un échec, notamment parce qu’elle s’accompagnait de violences contre la religion.

Les athées ont dû se retirer parce qu’ils ont compris qu’il existe encore « des paysans pauvres, des kolkhoziens, et même des ouvriers et des ouvrières qui tiennent encore à la religion. Une partie de la jeunesse, relativement peu importante, c’est vrai, est, elle aussi tombée dans les griffes de l’Eglise. Nous sommes obligés de combattre pour les récupérer, et nous les reconquerrons. Les popes, les rabbins et les prédicateurs des différentes sectes tentent de les assujettir. » (Editorial de la revue illustrée L’Athée, n°7, avril 1930.)

Le même Iaroslavski qui, semble-t-il, était constamment dans l’opposition face à ce courant extrémiste (cf. « Russie, être ou ne pas être », Opovestchenie, n°7-8), a déjà prévenu les athées qu’ils n’obtiendraient rien par la violence. C’est dans ce sens qu’il a parlé au IIième Congrès de la Ligue des Athées, l’été 1929. En août de la même année, il écrit : « Nous sommes obligés de nous rendre compte qu’il y a des millions, ou plus exactement des dizaines de millions de membres d’organisations religieuses – des ouvriers et des paysans que nous ne pouvons pas traiter comme des contre-révolutionnaires ». (Le Bolchévique du 20 août 1929).

C’est face à ces masses que les athées ont dû se retirer.

Dans le présent article, nous n’avons pas la possibilité d’analyser en détail les autres causes de l’échec de cette tentative athée de liquider la religion immédiatement. Il faut cependant signaler que d’après le matériel dont nous disposons, et plus important encore, d’après la presse antireligieuse elle-même, il est évident que les protestations venant du monde entier n’ont pas eu pour effet d’aggraver la répression contre les croyants, comme certains le craignaient. Au contraire, elles ont été l’un des facteurs qui ont obligé les athées à battre en retraite. La même constatation vaut pour le comportement du métropolite Serge et des autres dirigeants des organisations religieuses, dont la décision de se sacrifier porte maintenant ses fruits. Ces derniers sont de plus en plus capables de protéger leurs ouailles des agressions athées.

L’échec des offensives contre la religion a justement eu lieu avant la Pâques. Les correspondants de presse étrangers ont écrit que finalement, les fidèles n’avaient pas été entièrement privés de fêter cette Fête des Fêtes à l’église. Malgré tous leurs efforts, les athées ont été obligés de reculer devant le fait qu’une « grande partie de la population de l’URSS continue de croire, de prier, de fêter les fêtes religieuses, dont la Pâques… et de nombreux ouvriers, en ville ainsi qu’à la campagne, prennent part à ces célébrations. » (L’Athée, avril 1930).

Il est sûr qu’une retraite involontaire ne signifie pas la capitulation complète de l’athéisme. Le projet des athées (le « Plan Quinquennal Athée »), toute la législation religieuse encore en vigueur, les rapports sur de nouveaux cas de violence contre les croyants, les arrestations de prêtres ; les fermetures et les destructions d’églises etc… Tout cela atteste que les athées sont loin de rendre les armes.

Toute fois, l’échec de leur dernière offensive a provoqué une grande confusion dans leurs rangs. Par exemple, L’Ouvrier Athée (n°7, 1930) écrit : « Dans les derniers temps, on est tombé dans l’extrême inverse: on se presse de réouvrir toutes les églises sans discernement, sans tenir compte de quand et pourquoi elles avaient été fermées. Certaines organisations athées réduisent leur travail, ne s’opposant plus à la propagande des koulaks et des popes. La conséquence de ce travail maladroit est que les éléments antisoviétiques, les koulaks et les popes relèvent la tête. »

Par la faute de directives et de circulaires contradictoires, la confusion et le désordre règnent maintenant dans les rangs des athées. Ils se trouvent dans le même état d’esprit qu’une armée dont l’offensive, qui aurait pu être décisive, s’est soldée par un échec.

Traduction Tatiana Krijivoblotski