Le combat pour l’âme de la Russie

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Mai 1929

Le combat pour l’âme de la Russie

(Pâques 1929)

(Fin)

Avant Pâques, dès la mi-mars, la Komsomolskaia Pravda a soulevé la question de savoir « s’il était rationnel que les entreprises travaillent pendant la semaine pascale ». Dans l’une des réponses, que publie le numéro du 21 mars, on dit qu’il s’est créé une atmosphère absurde. L’ouvrier, après quelques conférences bien documentées sur la religion et ses liens avec la lutte des classes, – après un exposé antireligieux – s’en va en congé. Ainsi mener cette action antireligieuse ne sert absolument à rien ».

« Le combat contre la religion, écrit un autre correspondant, c’est la lutte des classes. Dans le combat il faut avancer et non pas piétiner sur place. Il faut exercer une pression décisive sur les traditions pascales. Et la meilleure pression, ce sera de travailler pendant la période pascale. »

Dans une troisième lettre, « entre autres arguments pour le travail des entreprises pendant la période pascale, on avance que les excursions, les clubs, les théâtres ne peuvent détourner de la célébration traditionnelle de Pâques qu’une partie très réduite des travailleurs. »

« Il ne peut y avoir de doute que la discipline dans la camaraderie et dans la production semble, pour les travailleurs, plus forte que les traditions religieuses ! » – s’exclame un des partisans de la suppression des « jours de congé » pascals.

Par contre dans un grand nombre d’autres réponses à l’enquête cette proposition n’a rencontré aucune sympathie. Certains arguments avec lesquels on défend la nécessité de la célébration de Pâques sont curieux. Un des ouvriers du textile de l’usine de Krasnokholm écrit par exemple : » Comme argument principal contre le travail pendant les jours de fête on doit avancer la question des difficultés que pose le fromage dans certaines industries-clé. L’interruption presque d’une semaine dans les ateliers et les usines donnera la possibilité d’amasser des réserves de fromage qui plus tard permettront un travail ininterrompu de l’entreprise. »

« Argument non moins sérieux contre le travail les jours de Pâques, le fait que si les entreprises travaillent, il y aura parmi les travailleurs un nombre important d’absences injustifiées. On ne réussira pas à les éviter, même avec une longue préparation. C’est ce qui apparaît dans certaines entreprises qui travaillent les jours de fête. Une telle situation est inacceptable particulièrement aujourd’hui, dans une période de lutte intensive pour renforcer la discipline dans le travail. Certes, cet argument peut se heurter à des objections, disant qu’on ne peut se mettre à la remorque de certains travailleurs à la mentalité arriérée, que ce n’est pas en paroles mais en actes que nous devons mener le combat contre la religion. Mais ce n’est pas seulement en supprimant les fêtes religieuses qu’on doit mener l‘activité antireligieuse. Il faut partir de possibilités très raisonnables, et en premier lieu prendre en compte l’utilité économique de la mesure que l’on pratique. Les questions de la production doivent se trouver devant nous au premier plan.

A quoi mène le travail les jours de fête, c’est ce dont parle une lettre d’un ouvrier de Russie, publiée dans Dni [Les Jours] du 12 mai de cette année :

« Le travail à Pâques et à Noël est une grande perte pour l’Etat et un bénéfice personnel pour les travailleurs. Les poêles chauffent, les chaudières bouillent, les transmissions marchent, mais si les travailleurs se rassemblent, c’est davantage pour se souhaiter bonne fête et échanger le baiser de Pâques… Le profit pour les travailleurs est direct. Mais nous, jusqu’à maintenant, nous nous sommes refusé ce profit … On a fait circuler le bruit que les ouvriers de Moscou aussi se sont déjà mis d’accord le premier jour de Pâques pour aller dans les usines et les ateliers. Mais il est vite apparu que c’était faux : on a reçu une lettre de camarades de Moscou disant qu’ils avaient fermement décidé de moucher les athées. Il s’ensuit qu’on nous a trompés… »

« Après cela nous avons demandé à des communistes sérieux : pourquoi tolère-t-on ces sottises ruineuses pour l’Etat quand vous déplorez vous mêmes la timidité des moyens et que vous nous persuadez d’élever la productivité du travail ? …Les communistes répondent à cela : on n’y peut rien : c’est la ligne politique. Cette même ligne chez nous marche de façon tout à fait absurde. Et tous les travaux pour augmenter la productivité tombent à l’eau » …

Ce « pied de nez des ouvriers de Moscou », on le voit dans la communication suivante de la Komsomolskaia Pravda du 27 mars :

« Hier s’est tenue une réunion des administrateurs, représentants des organisations syndicales de base et des ouvriers des ateliers et usines de Moscou sur la question de la célébration des fêtes de Pâques… Dressant le bilan des interventions des ouvriers, le camarade Drojjine a déclaré que le M.G.S.P.S.[1] ne prendra aucune décision à cette conférence. La question du travail les jours de Pâques doit être posée par les ouvriers dans des débats plus larges dans les ateliers et les usines… A cette réunion les représentants des ateliers de textiles pour quelque raison étaient absents ». A en juger d’après d’autres communications (article de L’Antireligieux, information sur l’interruption d’un exposé antireligieux à la Manufacture de Trigor etc.), les ouvriers du textile sont particulièrement déterminés sur la question religieuse. Il est visible qu’ils n’ont simplement pas souhaité délibérer de la question de la suppression de la célébration de Pâques.

Selon les journaux soviétiques il a été décidé que la campagne antireligieuse se déroulerait pendant toute la durée du Grand Carême et jusqu’au 15 mai.

« Le voisinage exceptionnel des jours révolutionnaires de mai et des jours pascals – écrit la Krasnaia Gazeta de Léningrad du 24 avril, « six jours de congé » – force les clubs à redoubler d’efforts… Quelques clubs ont sagement commencé la campagne dès le mois de mars en se conformant à la période pascale. Dans le club de l’atelier de tricot « Krasnaia Zvezda » [« Etoile rouge »] un cycle de conférences et de débats antireligieux a commencé dès le 29 mars par une conférence sur le mystère de l’Eucharistie, ensuite, en avril, on a eu « Pâques est-il nécessaire pour les travailleurs ? », « Komintern et religion » etc.

« Il faut remarquer que l’ensemble du programme de la campagne antireligieuse ne brille pas par la variété. Mais il promet en revanche d’être très nourri le samedi de la Passion, si le temps est favorable. Ce jour-là – 4 mai – sont organisés des cortèges de carnaval auxquels vont prendre part tous les clubs du district. Des conférences, des exposés, des spectacles, du cinéma, tous les divertissements possibles, jusqu’à des bals, se prolongeront jusqu’au matin dans presque tous les clubs. Mais, en général, le programme de six jours montre peu d’originalité, peu d’imagination ».

« Pour les promenades la commission du Premier mai a décidé de prolonger de 4 jours le trafic du tramway jusqu’à 2 heures du matin. Il est possible que cette mesure n’ait pas été sans utilité aussi pour les orthodoxes qui célèbrent dans les églises la Grande Fête ».

Dans un autre numéro la Krasnaia Gazeta dit que les choses se passent tout à fait mal du côté de la littérature antireligieuse. « Les travailleurs de la culture se démènent en quête de littérature athée. Pourtant, au marché du livre il manque une littérature de pointe contre les fêtes de Pâques, sans parler de la littérature de masse, est absente… Les syndicats de Leningrad sont contraints de partir désarmés sur le front antireligieux … »

Dans les journaux soviétiques, les dernières semaines avant les fêtes pascales, on a donné presque chaque jour différents détails sur la préparation des « jours de congé ». Ces informations montrent l’intensité du combat pour les convictions religieuses dans la Russie contemporaine. Le pouvoir communiste essaie par tous les moyens de forcer les Russes à renoncer à « l’opium de la religion », mais il se heurte à une opposition obstinée. Officiellement il renonce à des mesures répressives et aux menaces, mais il y a pratiquement constamment recours. Il est interdit aux coopératives de vendre des paskha et des koulitch. (Krasnaia Gazeta). « Tous les musées et toutes les expositions seront ouverts. On prend des mesures pour qu’ils soient occupés au maximum » (Komsomolskaia Pravda du 23 mars). « Il a été proposé à toutes les écoles, établissements pour enfants et internats de lancer une vaste campagne antireligieuse. Les 4 et 6 mai, jours de la fête pascale, doivent être ouvrés. Le 5 mai on recommande d’organiser des activités de clubs. Pour les parents qui communient on recommande d’organiser des soirées antireligieuses artistiques ».

« Les écoles doivent prendre part avec les syndicats et les organisations sociales à la lutte pour transférer les églises et les lieux de prière aux besoins de la culture et de l’art » etc. (Komsomolskaia Pravda du 28 mars) ;

A en juger par les informations des journaux, cette année les écoles, mais aussi les théâtres sont soumis à une contrainte particulière. Pour ne pas donner la possibilité aux artistes d’opéra de chanter dans les églises, on a programmé impérativement des spectacles pour la nuit du 5 mai à 10h du soir. On n’a pas réussi à les forcer à jouer quoi que ce soit de conforme aux buts de la propagande antireligieuse. Et à Pétersbourg et à Moscou, la nuit de Pâques, on a donné « Boris Godounov ». La contrainte s’est exercée sur les théâtres les plus conservateurs – opéras et théâtres d’art. En revanche les « théâtres révolutionnaires » ont, semble-t-il, réussi à se défendre. A en juger par les déclarations qu’ont faites avant les fêtes les journaux moscovites, au Théâtre de Chambre il n’y a pas eu de spectacle le 4 mai, et au théâtre Meyerhold la représentation prévue a été annulée à la dernière minute et les billets ont été remboursés. Il est intéressant de remarquer que dans la majorité des théâtres de Pétersbourg qu’on a contraints à jouer la nuit de Pâques, il n’y a pas eu de spectacle le 3 mai. N’était-ce pas par hasard le Vendredi saint ?

A Moscou, selon une information de la Komsomolskaia Pravda, « tous les cinémas seront décorés de slogans et d’affiches contre la fête de Pâques. Les séances se prolongeront jusqu’à 3-4 heures du matin… A part cela, tous ces jours-là, sur les places, dans les districts ouvriers, des cinémas ambulants fonctionneront jusqu’au cœur de la nuit.

Pour les ouvriers on organise des « excursions de masse » en Crimée, sur le Dniepr, sur la Volga etc. Une des excursions suit l’itinéraire suivant : « Volgostroï – Léningrad – Peterhof. Les excursionnistes prendront part à la manifestation du premier mai du prolétariat de Léningrad, visiteront les palais, les musées, la forteresse Pierre et Paul, le port marchand etc., à Volkhov, les barrages, les écluses etc. »

A Moscou on attend l’arrivée de près de 4000 excursionnistes du Donbass, de l’Oural, de Kharkov, de Kiev. »

La Komsomolskaia Pravda du 28 avril informe qu’« à Léningrad la nuit du 4 au 5 mai on a joué un spectacle de masse… Le sujet en était la lutte de l’église et de la science. L’action se passe au temps de l’Inquisition et ensuite passe à notre époque. Une immense foule de figurants participe à la mise en scène, on y utilisera des effets de lumière, des numéros musicaux etc. On verra un savant brûlé sur le bûcher par un inquisiteur… On fera participer un studio artistique d’enfants et toute une série de collèges techniques » …

La Krasnaia Gazeta informe que « dans tous les lieux de fête, à côté des programmes de concerts et du cinéma, fonctionneront des attractions, des manèges, des balançoires etc. Les fêtes se termineront par des bals et des feux d’artifice…Presque tous les établissements d’enseignement supérieurs organiseront leurs soirées avec les usines et les ateliers, les militaires de l’Armée Rouge, les villages parrainés etc… Pour la manifestation du Premier mai l’institut des langues orientales présente toute une colonne de manifestants en costumes nationaux… Le 5 mai on prépare une maevka[2] des membres de l’Avtodor[3] en automobiles pour visiter Peterhof ses parcs et ses palais…. On organise une manifestation de district des jeunes pionniers et des écoliers… sous le mot d’ordre du renforcement de l’éducation internationale et de la lutte contre l’antisémitisme, la religion et l’ivrognerie…L’usine « Bolchevik » organise les 3 et 4 mai un grand défilé militaire… » etc. etc.

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Comment s’est passée la semaine pascale en Russie, nous pouvons en dresser un tableau assez complet. Nous pouvons à coup sûr affirmer que, même si les athées ont intensifié par endroits leurs efforts particuliers pour mériter l’approbation de leurs responsables subventionnés, le peuple fidèle de l’Eglise n’est pas demeuré en reste. La Pâque de 1929, à en juger par une lettre privée de Moscou, a été célébrée avec un enthousiasme et une solennité sans précédent. Dans une autre lettre datant du milieu de la semaine pascale on dit que « les offices étaient merveilleux et le peuple était partout en masse ». Les correspondants des journaux anglais ont informé que pendant toute la semaine de la Passion et particulièrement la nuit pascale les églises étaient combles. La Pravda (8 mai) reconnaît la même chose, informant que « les églises pour la nuit pascale étaient pleines et dans les églises préférées des Moscovites la place manquait pour tous les gens venus « célébrer le Christ ».

Les Izvestia du 8 mai écrivent : « La nuit du 5 mai tout Moscou était dans la rue. Toute la nuit s’est livrée une lutte acharnée entre le vieille et la nouvelle Moscou, entre le mode de vie ancien et le mode de vie nouveau. Le camp de l’ancien était concentré dans les églises » …

Mais la Komsomolskaia Pravda caractérise la Nuit pascale de la façon suivante : « C’était une bataille grandiose. Moscou cette nuit-là n’a pas dormi. Toute la nuit dans les rues et sur les places se sont poursuivies sans interruption des « actions militaires », toute la nuit deux forces se sont affrontées : – la religion et la culture. La culture a refoulé l’église… La culture a marché armée de pied en cap…Les projecteurs projetaient des faisceaux de rayons, éclairant la route des combattants de la culture. Ils marchaient sur les places à la lumière des torches, chassant les ténèbres de la nuit. La nuit battait en retraite » …

« Les combats principaux se sont déroulés sur les places tard dans la nuit, éloignant de l’église la population non organisée. Sur la place Serpukhovski une foule de gens grouille près de l’écran, installé dans la rue. S’avancent les colonnes du groupe carnavalesque de Zamoskvoretsk. Tous les participants du carnaval ont fait provision de lanternes chinoises de couleur. Dans les premières files du cortège de carnaval, on voit les masques brillants des dieux. Toute la nuit les cinémas ont fonctionné …les torches fumaient, les fusées explosaient, les camions tournaient portant des gens déguisés ».

Les « Izvestia » (8 mai) donnent cette description des plus belles manifestations de cette « culture » : « Le point central de la promenade populaire était la place de la Commune. C’est là qu’est arrivé le plus grand groupe de carnaval avec des torches, de la musique et des mises en scène. Devant marchaient les porteurs de torches, derrière eux des komsomols grimés, représentant les funérailles de la Pâque. Sur des brancards ils portaient tous les attributs de Pâques : le koulitch, la paskha, le vin et les zakouskis. Les autres participants à ces « funérailles » – il y en avait quelques milliers – marchaient en chantant, portant avec eux des caricatures et des masques brillants. Deux masques figuraient « l’union indestructible » de l’église avec le pouvoir bourgeois : le pape de Rome et Mussolini… Au-dessus de toute cette vieillerie s’élevait une affiche rouge avec cette inscription : « La révolution culturelle balaiera le vieil opium religieux. »

« Jusqu’au matin roulaient dans la ville des automobiles et des tramways décorés ; les komsomols marchaient en chantant et en musique ».

La Komsomolskaia Pravda assure que « la culture a triomphé…Des centaines de milliers de gens ont été cette nuit reconquis par la culture sur la religion ».

Mais en était-il ainsi ? Effectivement par la voie de contraintes et de pressions incroyables on a forcé « quelque cent mille travailleurs » à passer la nuit dans la joie et la culture ». Les théâtres, apparemment, ne se sont pas trouvés dans la situation de refuser de jouer. Même les enfants ont été forcés de participer aux carnavals. La Outchitel’skaia Gazeta [Le Journal des enseignants] communique que « le 4 mai dans beaucoup d’écoles de Moscou se sont déroulées des soirées antireligieuses auxquelles étaient présents non seulement les écoliers, mais aussi leurs parents ».

Le journal informe aussi que « tout le mois d’avril l’école s’est préparée à la réalisation organisée des jours du premier mai et anti-Pâques… Un grand travail a été réalisé aussi avec les parents… Résultat de ce travail : les parents non seulement n’ont pas gardé les enfants à la maison, mais ils sont eux-mêmes venus à l’école pour la soirée… Les soirées antireligieuses qui se sont prolongées jusqu’à deux-trois heures du matin étaient pleines d’enfants et de parents. Dans les jardins d’enfants il y a eu des services de nuit organisés. » …

« Avec les enfants aussi on a mené des entretiens préparatoires sur la nécessité de d’opposer à la fête de Pâques un travail pratique à l’école ; partout les enfants ont pris les décisions correspondantes en invitant les écoles des districts voisins à marcher en front uni ». L’Outchitel’skaia Gazeta pense-t-elle vraiment qu’on peut croire à la liberté et à la spontanéité de ces décisions ?

Résultat des mesures prises : « le Premier mai dans toutes les écoles de Moscou se sont déroulées les activités scolaires ordinaires ».

« Le 4 mai, dans presque tous les établissements culturels s’est effectué le travail normal. » Dans cette information on notera le mot « presque ».

La Krasnaia Gazeta (7 mai) informe que « toute une série d’établissements d’enseignement supérieur de Léningrad, selon la décision prise par les meetings d’étudiants et les autorités, ont travaillé les 4 et 6 mai. » Les professeurs terrorisés sont venus pour leurs cours. Par contre les employés ont été courageux. « A l’institut de Médecine de Leningrad, aux assemblées du personnel, le personnel subalterne des chaires théoriques et le personnel des laboratoires ont catégoriquement refusé de travailler les jours pascals. Le professeur Martynov (histologie) a continué à faire ses cours, étant obligé, pour accéder à l’institut, de passer par une entrée de service. Le professeur Salazkine, qui, du fait de l’absence du personnel de service, n’a pas eu la possibilité de faire son cours a fait passer des examens ».

« A l’Institut Technologique de Leningrad il a été décidé d’offrir la possibilité à tous les professeurs qui le voulaient, après accord avec les étudiants, de donner des cours les jours de fête. Selon des informations encore incomplètes, il y a eu un assez grand nombre de volontaires, à peu près 30%, pour donner leurs cours et poursuivre leurs activités. Une série de professeurs ont reporté leurs activités à d’autres jours. La situation a été plus mauvaise dans les laboratoires : ceux de chimie et de mécanique n’ont pas travaillé pendant ces jours-là ».

Les journaux de Moscou n’ont pas paru pendant trois jours.

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On reconnaît déjà avec assez d’amertume l’échec de « la pression culturelle sur Pâques ». A Orekhovo-Zuevo, par exemple, selon une information de Troud, « le programme de la soirée n’a pas été des plus joyeux, la conférence était très ennuyeuse, les danses manquaient vraiment d’énergie… Les danseurs n’occupaient que la moitié de l’immense salle du club … Finalement on avait ces conversations : « Que voulez-vous qu’on fasse ? Le temps est magnifique. Nous avons le temps de bien dormir. On a encore deux jours de congé devant nous. Allez, les gars, à l’église. Allons voir ce qu’on y fait. »

Le correspondant du Times (10 mai) informe, d’après ce que disent les journaux soviétiques, que « Leningrad, Tver, Kiev, Omsk, Tomsk, Orel et Oufa ont bien répondu au mot d’ordre antireligieux venu de Moscou, mais que quelques autres villes, par exemple, Toula, se sont couvertes de honte par leur conduite, proche du sabotage ». Un peu plus tard (13 mai), le correspondant du « Times » a communiqué les détails suivants relatifs à l’échec de la campagne religieuse à Toula. Les autorités de Tver ont informé Moscou qu’elles avaient organisé des cortèges et des divertissements antireligieux avec la participation d’écoliers. Les enfants manifestants ont essayé d’empêcher les fidèles d’entrer dans les églises, mais les parents et d’autres croyants ont chassé les manifestants et ont détruit leurs drapeaux et leurs caricatures. On a aussi fait échouer les représentations antireligieuses. La même chose s’est produite dans les villages environnants, où, grâce à la supériorité en nombre et à la meilleure organisation de la population orthodoxe, la campagne antireligieuse a été mise en échec. Beaucoup de manifestants ont été blessés, et certains sérieusement.

Le journal soviétique Troud (9 mai) décrit ces événements de la façon suivante : « Pour la Pâque de cette année les fidèles ont montré une grande activité. Ainsi à Zaretch (district ouvrier) au moment de la procession religieuse un cortège de pionniers avec des torches s’est approché de l’église. Des houligans venus des rangs de la procession leur sont tombés dessus et se sont mis à les disperser, à arracher affiches et drapeaux. Les pionniers se sont enfuis… Ils ont chahuté bruyamment l’artiste Volgar qui donnait au cinéma « Forum » un spectacle de chansons antireligieuses, l’empêchant de terminer son programme. » …

Dans le proche avenir les journaux soviétiques, vont sûrement parler d’autres échecs. Ces aveux ne leur sont pas agréables, aussi les font-ils toujours avec retard.

Parmi les descriptions grossières et blasphématoires des célébrations par le peuple croyant de la fête pascale, on peut toujours trouver dans les journaux soviétiques certains détails intéressants, qui apparemment correspondent davantage à la vérité. Dans la Komsomolskaia Pravda (8 mai) on donne ce tableau :

« Crépuscule. La « nuit pascale » approche. Dans les rues on s’agite. On va et on vient avec des achats. Dans les coopératives « la situation est dangereuse ». L’habitant de Moscou se prépare à se goinfrer. Les églises se préparent à accueillir les fidèles…Voici une église sur la Sretennka. Une petite feuille de papier blanc se détache avec la liste des offices…Le nettoyage dans l’église n’est pas encore achevé. Un gars solide est monté sur une échelle jusqu’à l’ange doré au-dessus de la porte royale et y ajuste une touffe de fleurs de toutes les couleurs. En bas un militant de l’église tout lisse dirige : « – Contre la tête, contre la tête… »

L’église est toute en verdure. L’air ici est grisant ; une odeur de résine de sapin se mêle à l’encens et à l’huile de rose. On complète la décoration des icônes « les plus importantes » par des lumignons de couleur. Derrière la tête de l’ange doré jaillit une flamme électrique. Les marchandes de biscuits et la 3e Mechtchanskaia[4] seront contents » … « La consécration vient de se terminer. Et un diacre bien nourri, marmottant dans sa barbe d’une basse profonde des mots incompréhensibles, fait le tour avec un plateau métallique des assistants. Les pièces de monnaie tintent. Parmi ceux qui apportent les paskha, il y a moins d’adultes que de la marmaille de 12-13 ans. On a envie d’échapper au plus vite au parfum capiteux de l’église et de sortir dans la rue. »

« …Voici un autre district. Piatnitskaia[5], ruelle Klimentovski. Dans la rue un carnaval avec beaucoup de monde. Les torches flambent. Un orchestre retentit. A ce moment dans la clôture d’une grande église passe une procession. La rue rouge et l’église noire rivalisent : qui l’emportera ? « L’orchestre « Krakoviak » couvre le bruit de la procession. Quelques groupes de gens quittent la procession. Dans l’église aucune jeunesse. Les adultes sont des femmes. Beaucoup d’enfants » …

« …A la gare de Saratov il y a une église des Saints Florus et Laurus. L’église était comble… »

« … dans la ruelle sur la Kouznetskaia on voit de loin un club de l’usine de b. Morz, inondé d’une mer de lumière bleue. Ici tout à côté une petite église. Sur le clocher une dizaine de petits lumignons. A l’intérieur de l’église « on a essayé de faire une « présentation artistique » convenable. Quand pour la première fois le chœur a proclamé « Christ est ressuscité », un électricien à l’autel a tourné un interrupteur et au loin sur l’autel un « Sauveur » bleu est apparu dans « un éclairage divin » (production MOGES[6]). Et au milieu de l’église ont étincelé les lettres de « Christ est ressuscité », comme pour nos illuminations du Premier mai. La technique – résultat de la négligence de l’administration et des organisations sociales de la centrale électrique, a été mise au service de l’obscurantisme… Là où on n’a pas su opposer notre technique soviétique à la technique de l’église, il y a eu des sabotages » …

« .. C’était le même tableau dans d’autres églises. Partout les prêtres ont essayé de donner à leurs temples un aspect agréable. Ils se sont ingéniés à faire des trucs électrotechniques » …

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Cela fait déjà une dizaine d’années que se mène ce combat pour l’âme du peuple russe, et on ne sait combien de temps il va encore durer. A la dernière fête de Pâques on a particulièrement senti que ce n’était pas simplement une lutte terrestre, humaine, mais une lutte spirituelle, religieuse, une lutte de la lumière avec les ténèbres, de Dieu avec le diable. D’un côté, les serviteurs du principe négateur en sont arrivés à un acharnement purement satanique, déclarant cyniquement que leur principe essentiel était la haine. De l’autre côté, nous voyons se manifester de telles hauteurs spirituelles, un héroïsme qui témoignent clairement que participent à ce combat des forces spirituelles positives qui aident et raffermissent les gens qui leur sont fidèles.

Voyant ce qui se passe en Russie, les gens incroyants ou peu croyants sont pris facilement par le désespoir, tombent dans un pessimisme désespéré. Ils commencent en quelque sorte à douter de la victoire du bien sur le mal, de Dieu sur le diable. Les orthodoxes fidèles à l’Eglise n’ont pas le droit de douter de cette victoire. Car ils savent que « le Christ est ressuscité, et que l’enfer est renversé ; le Christ est ressuscité, et les démons sont tombés ; le Christ est ressuscité et la vie demeure ». Ils savent que le Christ a promis d’être avec nous jusqu’à la fin des temps », comme il est dit dans le canon pascal. « Ses fidèles, dans la certitude de l’espérance, sont dans la joie ».

Traduction Yves Avril


[1] Moskovskoe Gosudarstvennoe Sovechanie ProfSojuzov (???) : Réunion Moscovite d’Etat des Syndicats

[2] Maevka : à l’origine, au mois de mai réunion clandestine de révolutionnaires avant 1917. Après la Révolution pique-nique à la campagne, organisé lors des fêtes du 1er mai.

[3] Avtodor : compagnie d’Etat qui s’occupe de la circulation routière (avtomobilnee dorogi)

[4] 3-ia Mechtchanskaia oulitsa [« Troisième Bourgeoise »], rue de Moscou.

[5] Piatnitskaia oulitsa : rue de Moscou.

[6] MOGES : « Moskovskaia Gosudarstvennaia Elektritcheskaia Stantsia »: Centrale électrique d’Etat de Moscou.

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