Deux voies de lutte pour la Russie
MLADOROSS, n°7, avril 1931
DEUX VOIES DE LUTTE POUR LA RUSSIE
(La religion et la politique)
Il est admis que la révolution russe n’est pas un simple phénomène politique. Nous sommes tous témoins des évènements catastrophiques qui se sont emparé de la vie du peuple russe et l’ont mise sens dessus dessous.
Même le côté religieux de sa vie ne fut pas exempt de ces bouleversements. Avant la révolution, la foi Orthodoxe occupait la place centrale dans la vie du peuple russe. Elle était le cœur de l’organisme national. La révolution ne pouvait passer à côté.
Lors de l’écroulement de l’ancien régime en 1917, l’Eglise se trouva dans une situation nouvelle, pour elle tout à fait inhabituelle. Elle eut besoin d’une concentration énorme de ses forces spirituelles, pour rester debout et ne pas se laisser enterrer sous les décombres du monde ancien auquel elle était liée par des liens innombrables. Avec le temps, l’Eglise arriva même à s’enraciner et à conquérir un droit à l’existence[1], dans des conditions nouvelles ouvertement soumises à l’étendard d’un athéisme militant.
Le combat spirituel pour l’âme des Russes, mené toutes ces années entre l’Eglise et le communisme, comporte une signification colossale, décisive pour la destinée de notre peuple. Une évaluation exacte de son importance d’un point de vue strictement politique est absolument impossible ; de même qu’il n’est pas possible, avec une telle approche, de comprendre la victoire du Christianisme sur le monde païen, au cours des premiers siècles de notre ère. Une appréciation juste ne peut en être donnée qu’avec une démarche approfondie et religieusement éclairée de ces questions.
La lutte religieuse en Russie Soviétique, d’années en années se renforce, devient plus aigüe, plus raffinée. Au cours des dernières années, s’est aussi intensifiée la pression de la lutte politique pour les destinées de la Russie. Les efforts du pouvoir pour réaliser à tout prix le communisme ont provoqué une terrible hostilité de la part de toutes les couches de la population. De nombreuses raisons permettent d’affirmer qu’au moment présent, seul le système perfectionné de l’oppression communiste empêche une révolution de libération nationale d’éclater.
La lutte pour l’avenir de la Russie est sur deux voies fondamentales : religieuse et politique. Ces voies, bien sûr, quoique contigües, sont, en de nombreux points, totalement différentes. Ce qui, dans un cas, est l’expression de la force et de l’intensité maximum de la lutte, peut, dans un autre cas, être faiblesse, capitulation ou compromission. Les lois de la lutte spirituelle, clairement indiquées dans les Saintes Ecritures (par exemple dans l’Epitre de Saint Paul aux Ephésiens) et dans les œuvres des Saints Pères, et confirmées par l’expérience séculaire de l’Eglise, sont souvent, dans le combat terrestre, politique, totalement inapplicables.
La confusion de ces deux voies a provoqué maintes fois dans l’histoire, des conflits et des malentendus tragiques. C’est ce qui arrive encore à notre époque, une époque de tension particulière tant dans la lutte spirituelle que politique.
Les Jeunes Russes, qui appartiennent à cette union (des Mladorossi) et mènent un combat politique pour la Russie, mais qui, en même temps, s’appuient sur des bases idéologiques et religieuses profondes, ne peuvent pas ne pas voir le danger : d’abord l’incompréhension et les malentendus, ensuite le conflit et la fracture, entre ceux qui veulent faire leur devoir en s’appuyant exclusivement sur la voie intérieure et religieuse, et les autres qui empruntent la voie du combat extérieur et politique.
Si ceux qui s’efforcent de poursuivre des voies purement religieuses ne s’efforcent pas, selon leur force, de comprendre ceux qui accomplissent leur devoir en travaillant dans le domaine de la lutte extérieure et politique (et inversement); si, en conséquences, apparaissent entre eux incompréhensions réciproques et manque de confiance, commencera à se manifester également entre eux la compétition, l’estrangement, l’animosité et même la lutte, ce qui sera porteur des conséquences les plus catastrophiques.
Si un conflit si tragique, qui en réalité ne devrait pas exister, surgissait entre ceux qui combattent pour l’avenir de la Russie et n’était pas surmonté à temps, il pourrait au total en résulter l’interruption de tout le processus de la renaissance créative postrévolutionnaire de la Russie. Il est indispensable que, des deux côtés, on songe très sérieusement à tout ceci.
Nous, Jeunes-Russes (Mladorossi), ne pouvons pas ne pas sentir toute la profondeur et l’importance de cette question. Nous ne pouvons être inconscients de notre responsabilité dans l’établissement de bonnes relations entre ceux qui exercent l’autorité[2] dans les deux domaines, pour leur compréhension réciproque réelle, leur confiance, leur entraide mutuelle, leur collaboration, toutes choses qui seront particulièrement indispensables quand la révolution de libération nationale permettra à toute la nation russe de marcher sur la voie d’un développement créatif et constructif dans tous les domaines.
Traduction Tatiana Krijivoblotski
[1] Littéralement : » une position » ; on dirait familièrement en français : « une place au soleil ». Cyrille Chévitch fait allusion à la reconnaissance administrative de l’existence légale de l’Eglise par l’Etat soviétique, obtenue en 1927 au prix de la déclaration de loyauté du métropolite Serge (Stragorodski).
[2] Littéralement : « entre ceux qui s’exercent à indiquer la direction «