Russie, être ou ne pas être

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OPOVESTCHENIE – N°7-8 Octobre 1929

RUSSIE, ÊTRE OU NE PAS ÊTRE

(La lutte pour la foi en Russie)

Au cours de l’année 1929, la presse soviétique a accordé beaucoup plus d’attention à la situation de la religion en Russie que les années précédentes. La question du « front religieux » paraît particulièrement actuelle, et la lutte entre les différents courants est de plus en plus serrée et passionnée.

Comme l’écrit la revue Le Bolchévique, reprise par la Pravda (n°16, août 1929), cela s’explique surtout par un regain d’activisme dans les milieux de l’Eglise et les sectes : « par leur lutte croissante pour influencer la jeunesse, les masses paysannes et le prolétariat ».

C’est lors de la dernière campagne anti-pascale que l’activité grandissante des organisations religieuses a été le plus visible. La revue L’Athée ouvrier (N°9, 1929) se plaint : « Pendant la dernière campagne anti-pascale, les popes et les croyants actifs ont fait preuve de beaucoup plus d’organisation qu’auparavant. Les églises n’étaient pas vides et les popes ont eu un nombreux auditoire devant lequel ils ont pu jouer leur ignoble comédie d’office pascal. Ignorer ce fait serait une erreur impardonnable. Il serait d’une légèreté pernicieuse de dire, à l’exemple malheureusement de quelques journalistes trop zélés, que dans la nuit de Pâques l’Eglise n’était pleine que de vieillards et de vieilles décrépites. Les églises étaient pleines et la jeunesse était présente. »

Nous avons reçu de nombreux témoignages selon lesquels, cette année, les croyants ont fêté Pâques avec une solennité et un enthousiasme exemplaire. Par exemple, dans une lettre venant de Moscou, on nous écrit :

« Nous avons passé une semaine sainte et une Pâques extraordinaires. Comparé à ces dernières années, nous avons assisté à une montée exceptionnelle du sentiment religieux. La nuit pascale a été pleine d’une grande joie à laquelle a participé presque toute la population de Moscou. Nous n’avions jamais vu les églises aussi pleines. Tout a été lumineux et joyeux, et rien n’a pu assombrir cette victoire de la lumière sur les ténèbres. »

Un autre correspondant nous écrit :

« Je me réjouis de pouvoir vous dire que toutes les honteuses machinations des athées se sont effondrées avec fracas. On les a pourchassés partout et, en certains endroits, on les a battus sans pitié. Aux dires d’un misérable, cette fois « les popes ont gagné ». Ce sont des propos caractéristiques des athées. Comme si la question était de savoir qui va gagner… les églises étaient bondées et il y avait foule même dehors ».

A l’occasion des fêtes religieuses les plus importantes, surtout à Noël et à Pâques, on assiste à une mobilisation générale des forces en lutte sur le front religieux. Les résultats de ces campagnes intensives sont très révélateurs de l’état des choses.

Après la Pâques, au mois de juin de cette année, s’est tenu le deuxième congrès des athées d’URSS. Au cours de celui-ci de larges dissensions ont éclaté entre les membres du Parti Communiste unique, dégénérant en conflit entre les dirigeants du mouvement athée et les représentants du Komsomol. Iaroslavski, le président de la ligue des Athées, considère que la situation va devenir extrêmement dangereuse pour eux « si, dans nos propres rangs, il n’y a pas de consensus sur la façon de travailler et si, dans le domaine de la lutte antireligieuse, nous avons notre droite, notre gauche, et des éléments qui acceptent les compromissions » (Komsomolskaïa Pravda de juin). Les passions se sont échauffées à tel point que les représentants du Komsomol ont qualifié le Congrès Athée de « congrès de paresseux » et de « congrès de koulaks », et que Lounatcharski, le commissaire à l’éducation, a riposté en traitant ceux-ci de « jeunes chiens du Komsomol ». Les représentants du Komsomol se sont sentis extrêmement outragés. Rachmanov, le secrétaire de leur comité central, a déclaré qu’il considérait que « l’usage d’une telle expression est absolument déplacé et indigne du congrès… Le Komsomol rejette catégoriquement une telle appellation, et la retourne à celui qui a eu l’audace de l’appliquer aux Komsomol de Lénine ». Devant tout le monde, il a dit au chef du ministère de l’Education (déjà tombé en disgrâce) qu’il était lui-même un chien. Rachmanov a ensuite exprimé son insatisfaction car « il y a des congrès où le Komsomol devrait activement collaborer avec la Ligue des Athées, des gens qui essayent d’attaquer notre organisation » (Komsomolskaya Pravda du 16 juin).

Le conflit entre les deux tendances extrêmes qui a éclaté au congrès a une signification capitale et montre la crise profonde qui a lieu au sein de l’idéologie communiste. Dans un article publié dans la Komsomolskaya Pravda du 12 juin, Galaktionov écrit « qu’il ne s’agit pas d’un détail, mais d’une dissension profonde sur la question du principe de la propagande antireligieuse ». Galaktionov affirme que « la position de la Ligue des Athées révèle une incompréhension de la doctrine du marxisme-léninisme sur la religion, un esprit de compromission, et ceci dans des circonstances où la lutte de classe est renforcée. Cela signifie confondre critique de classe de la religion et athéisme bourgeois » … Les principaux dirigeants de la lutte contre la religion sont accusés d’hérésie, « d’apostasie de la doctrine marxiste-léniniste sur la religion ».

La question est d’où vient cette division entre les communistes. Quelle est la cause de cette crise idéologique ?

On sait que, selon leur doctrine officielle, les communistes prêchent un matérialisme extrême en reniant tout ce qui touche à l’au-delà. Ils considèrent que la religion n’est qu’une « superstructure idéologique », le résultat des conditions de vie politiques, sociales et économiques. Selon leur théorie, dans la mesure où l’on détruit l’ancien ordre social et économique, la religion doit disparaître [d’elle-même].

Depuis le début de la révolution, les communistes considèrent l’Eglise Orthodoxe comme leur principal ennemi idéologique. Dans le feu de la lutte contre celle-ci, ils n’ont aucun scrupule. Ils vont jusqu’à apporter leur concours aux « rénovateurs » de l’Eglise et autres groupuscules qui se détachent de l’Eglise, mais aussi aux différentes sectes, ce qui est en complète contradiction avec la principale thèse du communisme qui exige « la lutte contre toute croyance en Dieu ». Cette situation ambigüe souligne l’ambigüité de la politique soviétique, obligée de composer avec cette impossibilité d’atteindre en même temps tous les buts fixés. C’est pourquoi elle a recours à toutes ces NEPmen et doit faire tous ces compromis, qui ne permettent pas la réalisation des théories communistes fanatiques, avec la vie réelle. Le résultat est un désaccord évident entre les exigences de la doctrine officielle et les moyens mis en œuvre pour l’appliquer.

Au sein du Parti au pouvoir, on ressent de plus en plus une atmosphère de mensonge officiel et d’hypocrisie. Cela provoque la révolte des éléments les plus idéologiquement purs du Parti, principalement représentés par les membres du Komsomol. Ceux-ci s’indignent qu’on puisse être « en coquetterie avec Dieu » et demandent que la lutte contre la foi en Dieu soit sans merci et sans compromis.

Etant « en coquetterie » avec les groupes rénovateurs, les sectes, etc. … le pouvoir soviétique, dans sa lutte contre l’Eglise Orthodoxe, pendant longtemps n’a pas voulu reculer. L’arme principale de cette lutte contre l’Eglise est de l’accuser d’être déloyale et de participer à la lutte politique contre le pouvoir actuel. Ce point d’accusation pourrait être réellement préjudiciable à l’Eglise, si elle insistait sur son rejet politique du pouvoir, déclarait publiquement qu’elle ne le reconnaissait toujours pas et incitait les fidèles à l’opposition politique. Les Bolchéviques pourraient alors plus facilement détruire la vie religieuse et priver le peuple de toute protection pastorale, renforçant ainsi le processus d’éloignement de la foi de ses pères, le poussant vers l’athéisme ou vers les sectes qui, dès le début de la révolution, ont mieux su s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Ce qui, pour les sectes, ne représentait aucune difficulté car elles n’étaient nullement liées au régime renversé, était difficile et même extrêmement pénible pour les serviteurs de l’Eglise Orthodoxe, bien intégrés dans la vie d’avant la révolution. Les sages dirigeants de l’Eglise, capables de se sacrifier, le patriarche Tikhon en tête, ont trouvé assez de force spirituelle pour se priver de ce qui leur était cher et habituel. Ils ont eu le courage de renoncer à avoir une position politique et de sortir l’Eglise des eaux troubles des passions idéologiques.

Le patriarche Tikhon et ses successeurs qui, malgré les obstacles et les tentations, ont su sauver l’Eglise Orthodoxe de la vie politique et définir une nouvelle position, purement religieuse, ont de ce fait privé les ennemis de l’Eglise de leur arme la plus puissante – la possibilité de combattre l’Eglise en tant qu’organisation politique.

Ainsi l’Eglise a-t-elle démasqué le mensonge de la théorie marxiste sur la religion. Elle a démontré que la foi chrétienne n’est pas le résultat des conditions terrestres, mais qu’elle est la puissance invincible qui peut se révéler et vaincre les cœurs humains en toutes circonstances. Cet exploit réalisé par l’Eglise russe représente l’une des pages les plus remarquable de son histoire.

Les ennemis de l’Eglise qui, selon leur théorie, se sont engagés depuis le début à démontrer les liens indestructibles qui unissent l’Eglise Orthodoxe à l’ancien régime, en voyant leur schéma démasqué, essayent d’ajuster la vie réelle à ce schéma en déclarant que, désormais, ils ont affaire à des éléments « capitalistes d’un autre type qu’en 1917-1921 ».

Iaroslavski, dans son rapport à la session du Comité Central consacré à la lutte antireligieuse dit que « si auparavant nous avions affaire à quelques dizaines de milliers de propriétaires terriens et à quelques dizaines de milliers de capitalistes, nous avons affaire maintenant aux trois ou quatre millions de koulaks qui constituent le noyau actif des organisations religieuses contemporaines… La lutte contre eux n’est pas plus facile que la lutte contre le noble qui soutenait l’Eglise – elle est plus compliquée ».

Dans la mesure où l’Eglise a démontré par sa vie qu’elle est au-dessus de la politique, les communistes ont eu de plus en plus de mal à lutter contre elle. Leurs affirmations visant à prouver que l’Eglise n’est rien d’autre qu’une organisation contre-révolutionnaire sont démenties par la vie elle-même, et considérées par la population comme un mensonge évident.

La politique ecclésiale de Tikhon a eu pour résultat d’obliger le gouvernement soviétique à légaliser l’Eglise, c’est-à-dire à lui accorder le même statut (du point de vue de la loi soviétique) qu’elle accordait aux autres organisations religieuses. Quand le métropolite Serge, le dirigeant de l’Eglise Orthodoxe, a annoncé cet évènement au cours de l’été 1927 dans une Déclaration qui a fait beaucoup de bruit, il a une fois de plus souligné la position purement religieuse de l’Eglise. A ce propos, le journal L’Athée du 11 septembre 1927, écrit : « Le gouvernement commence à recevoir des lettres d’ouvriers et de paysans disant : maintenant que l’Eglise a définitivement renoncé à la politique, on n’est plus obligés de la persécuter ». Répondant à ces lettres, L’Athée s’efforce de les convaincre : « Du fait de sa loyauté politique, sous la direction de Serge, le rôle de l’Eglise ne diffère pas de celui qu’elle avait auparavant… La nature nocive de la religion reste la même après la Déclaration. Les dirigeants de l’Eglise veulent non seulement être les dirigeants des prières et les distributeurs de passeport pour le Royaume des Cieux, mais ils veulent aussi rester les guides de la vie quotidienne des fidèles… L’Eglise tente toujours de jouer le rôle de « consolatrice ». Elle essaye toujours de réconcilier le pauvre avec le koulak, l’ouvrier avec le NEPman, comme des frères en Christ. Elle tente toujours de convaincre l’homme qu’il est un serviteur de Dieu, alors que cet homme voudrait se libérer de toute forme de servitude… Serge peut bien barbouiller la religion de toutes les couleurs soviétiques, nous serons obligés de lutter contre son influence sur les masses ouvrières, et nous mènerons ce combat comme tous ceux que nous menons contre n’importe quelle religion et n’importe quelle Eglise ».

Mais comment mener la lutte ? Voilà la question ! On a essayé la violence pure. En vain. Lounatcharski, le ministre de l’Eduction Populaire, a été contraint d’avouer : « Non seulement nous ne devons pas croire en la force physique, en la force du pouvoir étatique, dans nos relations avec l’Eglise, mais nous devons même nous méfier de l’emploi de la force… Chaque cas de martyre de pope est un vrai poison pour nous tous, dans la mesure où cela redonne du zèle aux croyants ».

La Pravda du 12 juin rapporte que Boukharine, dans son discours au Congrès des Athées, dit : « Nous avons affaire à un évènement de masse. S’il n’y avait que deux ou trois croyants, nous pourrions les ignorer. Le malheur est là : pour un activiste chez nous, il y en a cent chez eux, et pour chaque non-croyant, il y a plusieurs centaines de croyants. Ainsi, la tâche ne consiste pas à faire pression sur eux mais à les persuader. »

De son côté, Olechtchouk, athée notoire, écrit dans La Pravda du 2 juin : « Même si la politique, l’économie et la vie quotidienne nouvelle déracinent la foi de la conscience des ouvriers… nous constatons que douze ans après la Révolution, la religion continue à vivre dans la tête de millions d’ouvriers des villes et des campagnes. »

Iaroslavski écrit dans Le Bolchévique du 31 août : « Nous sommes confrontés au fait qu’il y a des millions (plus précisément des dizaines de millions) de membres d’organisations religieuses – d’ouvriers, de paysans et de contre-révolutionnaires. Nous luttons pour avoir une influence sur cette masse, mais pour que cette lutte aboutisse, nous devons aller pas à pas sur de nombreux points (entre autres, sur la fermeture des églises et celui de l’autorisation des publications religieuses). Ces précautions seraient superflues si nous n’avions affaire à une organisation dont les membres n’étaient que des contre-révolutionnaires. Si tel était le cas nous serions obligés de dissoudre cette organisation à tout prix. Mais le malheur réside justement dans le fait que « l’Eglise pénètre dans les quartiers ouvriers », et que, comme le dit Rachmanov, le secrétaire du Komsomol – « Chez nous, au Komsomol, on trouve aussi des éléments qui acceptent les compromissions en matière de lutte contre la religion. Certains membres du Komsomol prient Dieu ! » etc. …

Kalinine, au Congrès des Athées, dit : « Il n’est pas difficile de détruire les attributs extérieurs de la religion, mais la lutte contre la vision religieuse du monde est extrêmement complexe… Dans la lutte contre les préjugés religieux, nous sommes obligés d’appliquer les mesures administratives avec beaucoup de précautions. Nous ne pouvons pas oublier les masses laborieuses qui malheureusement sont toujours croyantes » (Komsomolskaya Pravda du 15 juin).

Le même sujet est évoqué dans l’éditorial des Izvestia du 24 août : « Nous devons être extrêmement prudents lorsque nous appliquons des mesures administratives à la lutte antireligieuse, surtout quand cela touche les masses. Des erreurs graves sont possibles, il peut y avoir des conséquences néfastes. » Iaroslavski, en particulier, démontre ces conséquences néfastes dues aux « excès » commis lors de la fermeture des églises. Il dit : « Quand les forces qui se situent plus à gauche que le bon sens ne le permet entrent dans la lutte contre les sentiments de droite, on assiste à de tels excès que nous sommes tous obligés d’en payer le prix. Il nous devient très difficile de fermer les églises, même dans les lieux où cela nous semblerait normal en d’autres circonstances… Quand on nous dit : – Vous ne devez pas attendre que les masses vous mènent, interdisez le carillon des cloches, quand nos villes manquent de pain et que nous avons besoin de le moissonner » (Komsomolskaya Pravda du 16 juin).

Les adversaires stigmatisent ce genre d’opinions, les taxant de « graves preuves d’opportunisme » (Izvestia), de « contagion due à l’idéologie koulak », « de façon de penser de la petite bourgeoisie et de l’intelligentsia libérale qui manquent de courage dans la lutte contre la religion » (L’Athée). Lounine, le dirigeant du Komsomol, considère que « la théorie du camarade Rikov sur la nécessité de lutter contre l’abrutissement du cerveau des ouvriers qui n’ont pas encore renié la religion, ainsi que la théorie du camarade Lounatcharski, s’opposent en substance à la théorie marxiste et à toutes les expériences de la lutte des classes. » (Komsomolskaya Pravda de juin). Le principal athée, Iaroslavski, se plaint dans son discours de clôture d’avoir été déjà classé parmi les éléments qui acceptent les compromissions, et de l’attitude des critiques qui demain le situeront parmi les gens de droite.

L’épisode le plus caractéristique de cette lutte intestine est la révoltante destruction de la chapelle de la Mère de Dieu Iverskaya. Un correspondant du journal Le jour, écrit : « La chapelle a été rasée sur l’ordre du tout puissant Baumann, qui avait dans l’idée de glisser une peau de banane sous les pas de Iaroslavski, le président du mouvement des athées. La responsabilité de cet acte est retombée sur Iaroslavski, même si celui-ci considérait la destruction de la chapelle comme une maladresse (Le jour du 1er septembre). Cet acte de vandalisme est d’autant plus une « maladresse » que la chapelle a depuis longtemps été rendue à l’Eglise Rénovatrice, ainsi que d’autres églises les plus vénérées, dans le but de détourner le peuple de l’Eglise de Tikhon, haïe de l’Etat. Actuellement, parait-il, l’icône miraculeuse de L’Iverskaya a été transférée dans un petit sanctuaire qui appartient à l’Eglise de Tikhon.

Les leaders du Komsomol, ont été particulièrement indignés d’entendre les chefs du mouvement athée reconnaitre que la masse des croyants était constituée d’ouvriers et de paysans – pauvres. Ils jugent – et non sans raison – ces propos en opposition totale à la théorie marxiste sur la religion. Dans son discours de clôture du Congrès des Athées, Iaroslavski dit à ce sujet : « Les camarades Galaktionov et Lounine nous reprochent d’avoir calomnié la classe ouvrière en disant qu’elle donne son soutien à la religion chrétienne. Je peux leur répondre en montrant ce document. Je cite : « Nous, athées, nous avons l’habitude de voir au sein des comités d’églises des koulaks et des NEPmen. A Ramenski, par exemple, dans un quartier où se trouve une grande usine de textiles, le comité d’église est constitué de quinze membres, tous ouvriers, et de plus, qualifiés ». Ces ouvriers ne sont pas des esclaves de l’Antiquité, mais nos contemporains, qui sont passés par l’école du bagne capitaliste et qui, depuis douze ans, vivent sous la dictature du prolétariat. » Et il ajoute :  » « Voilà ce à quoi il faut réfléchir . Est-il possible de venir à bout de cette situation avec les méthodes proposées par les camarades Galaktionov, Lounine et la Komsomolskaya Pravda ? Ce n’est pas un assaut qui résoudra ces problèmes ».

Les partisans des moyens extrêmes dans la lutte contre la religion affirment de leur côté, et à juste titre, que la moindre indulgence envers l’Eglise provoque immédiatement un regain d’activité de sa part, ainsi qu’un élargissement de sa sphère d’influence. Ils disent que « l’Eglise est actuellement devenue la seule organisation légale derrière laquelle se cachent les contrerévolutionnaires de tous poils » (extrait de la revue L’Ouvrier de l’industrie alimentaire de juillet 1929). Lounine écrit dans la Komsomolskaya Pravda du 9 juin : « Il ne s’agit pas seulement de ces ouvriers et de ces paysans qui jusqu’ici sont restés croyant, mais de ces millions de jeunes qui grandissent et que nos ennemis de classe cherchent à abrutir par la religion. A l’heure actuelle, il y a dans les rangs du Christomol (la jeunesse chrétienne) presque deux millions de jeunes. Il est évident qu’ils n’ont pas été touché par l’opium de la religion avant la Révolution. Comme l’ont montré certaines recherches dans les écoles moscovites l’année dernière, Il y a 50% d’enfants abrutis pas la religion… (Les Izvestia du 24 août rapportent qu’à Moscou, certaines écoles comptent 90% d’enfants croyants) …Il s’agit donc non seulement de détruire l’opium qui est dans les têtes mais de ne pas le laisser entrer ».

Dans son discours, Boukhartsev, dit : « Le renforcement de la lutte de classe doit obligatoirement passer par la lutte contre la religion. L’ennemi religieux joue un rôle plus sérieux que ces dernières années. Nous ne pouvons pas lutter contre le poison religieux sans frapper fort les organisations religieuses. »

A en juger d’après les nouvelles de Russie, au cours de ces derniers mois, la « tendance de gauche » est de plus en plus active. En témoignent : une série de procès qui se sont terminé par la condamnation à mort des prêtres, la fermeture de plusieurs églises par la force, sans compter bien d’autres faits. On ne sait combien de temps va durer la folie stalinienne, nous espérons que cela ne sera pas trop long. Sur le plan économique, elle conduit le pays à la catastrophe. Elle isole de plus en plus l’élite au pouvoir, non seulement de la population, mais aussi de la classe ouvrière, qui est mécontente de la violence exercée à son égard (cf. la dictature du Parti dans les usines), et même des simples membres du Parti, étouffés par l’atmosphère de terreur qui règne au sein du Parti, sans cesse suspectés de n’être pas dans la ligne de celui-ci (cf. ce qui s’est passé avec Besedovski, le conseiller de la mission soviétique à Paris).

A l’heure actuelle, pour l’Eglise, le plus important est de survivre à la tempête en cours, en conservant si possible les acquis de ces dernières années, et en renforçant sa position là où la folie stalinienne est la moins forte. L’Eglise doit attendre le moment où la tendance de gauche sera affaiblie ou mieux, liquidée. Et cela arrivera tôt ou tard. Le moindre virage à droite sera bénéfique pour l’Eglise, et un virage net ouvrira des perspectives inimaginables.

Dans le domaine de la vie religieuse intérieure, l’Eglise jouit déjà d’une certaine liberté. Cela est dû à une nouvelle rédaction des lois soviétiques en matière de religion qui, d’après L’Athée du 7 juillet, signifie que « désormais, l’activité des associations religieuses est limitée à l’exercice du culte seul… au service des besoins religieux ». C’est justement là l’essentiel pour l’Eglise Orthodoxe, le culte étant le domaine naturel où s’exerce son influence sur les hommes.

Les méthodes de lutte contre l’Eglise les plus menaçantes ne sont pas les plus violentes mais celle que la terminologie soviétique appelle « méthode d’étouffement culturel de l’Eglise ». Celles-ci ont pour but de créer des conditions de vie et de travail où l’opium de la religion ne touchera plus les masses laborieuses. Dans ce sens une des mesures les plus sérieuses est d’imposer la semaine continue, en abandonnant le dimanche comme jour de repos. Ceci est lié à la tentative de réformer le calendrier en réduisant la semaine à cinq jours. Ce qui ferait disparaître les mots et la notion de samedi et de dimanche. L’Athée du 15 septembre écrit :

« La semaine de production continue est le moyen le plus efficace pour lutter contre les anciennes habitudes religieuses… A l’heure actuelle, il est difficile d’en évaluer pleinement la valeur. Il s’agit en tout cas de quelque chose de beaucoup plus important qu’une simple réforme du calendrier. La production continue abolit le traditionnel « jour du Seigneur », et ne laisse aucune place pour les fêtes religieuses, quelles qu’elles soient. Si l’on peut s’exprimer ainsi, la vie quotidienne religieuse sera jetée aux oubliettes. C’est le coup le plus sévère qu’on puisse porter à la religion et aux organisations religieuses. On leur coupe l’herbe sous le pied. Voilà pourquoi nous pouvons dire que le décret sur la semaine continue est d’une importance capitale pour le travail antireligieux, juste après celui sur la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Si ce dernier a détruit une fois pour toutes la puissance économique et politique de la religion en Union Soviétique, le décret sur la semaine continue a détruit ses fondements dans la vie de tous les jours. »

Olechtchouk (auteur de cet article publié dans L’Athée) continue : « Tout cela ne veut pas dire qu’on en a fini avec la religion. Non seulement elle n’est pas morte mais elle va montrer de quoi elle est capable. Nous rencontrons déjà une résistance acharnée à l’introduction de la semaine continue. Les activistes religieux essayent d’attirer à leur cause les couches les plus rétrogrades de la classe ouvrière. La question de la production engendre une lutte de classe où les organisations religieuses sont en première ligne ».

Le Messager socialiste, d’habitude bien informé de la vie russe, considère que « cette réforme casse définitivement toute l’organisation de la production et provoque un séisme profond dans le mode de vie de millions d’ouvriers. Cette réforme est caractéristique de la légèreté avec laquelle on fait des expériences, légèreté de plus en plus présente dans le comportement des dirigeants soviétiques ».

« L’abolition du dimanche en tant que jour de congé est présentée comme un très grand pas en avant dans la lutte contre Dieu. Mais l’expérience historique montre que la lutte contre la religion par la force est d’avance vouée à l’échec et que c’est un retour de la société à l’état sauvage. Même en dehors de ce contexte, l’abolition du jour de congé sera très mal vécue par des millions d’ouvriers… Cette mesure est une menace directe contre le dimanche, mais aussi pour l’existence même d’un jour de repos ».

Le pouvoir soviétique aura alors non seulement contre lui le front uni de toutes les organis ations religieuses, mais aussi les ouvriers non croyants et même certains représentants de l’appareil du Parti. Même Ouglanov, le Commissaire au travail, s’est prononcé contre cette mesure. Elle est si mal fondée du point de vue économique qu’elle est en tous points vouée à l’échec. Nous avons déjà des témoignages selon lesquels on ne parvient pas à l’appliquer. Le travail du 22 août nous informe de son échec sur les chantiers de Pétersbourg.

Si le pouvoir soviétique, par le biais de son appareil de répression, réussit malgré tout à appliquer cette mesure absurde, l’Eglise trouvera évidemment le moyen de se sortir des difficultés engendrées par l’abolition du repos dominical. Jusqu’ici, lorsqu’il arrivait que les jours de fêtes de l’Ancien calendrier tombent en semaine, l’Eglise organisait des services religieux tôt le matin pour ces ouvriers obligés de travailler. A Noël dernier, des services nocturnes ont eu lieu dans presque toutes les églises de Moscou. Dans l’une d’entre elles, les paroissiens et les prêtres avaient affiché l’ordre des offices suivant : « La veille au soir, vigiles, à minuit, moleben, à deux heures, matines, à quatre heures, liturgie ». A sept heures du matin, les fidèles étaient repartis travailler.

Ce printemps, au quatorzième Congrès des Soviets, Lounatcharski a dit : « Nous avons déjà engagé le combat final et décisif » (Izvestia du 17 mai). Dans un autre journal soviétique, on a écrit récemment qu’il n’y a pas une seule localité en Russie où on ne lutte pas pour ses convictions religieuses.

Nous avons l’impression que l’existence même de la Russie dépend du résultat de cette lutte pour les âmes des Russes, pour l’âme du peuple russe. « Russie, être ou ne pas être » – c’est là la question. Nous pensons que les étapes déjà franchies de cette lutte donnent suffisamment d’éléments pour ne pas douter de son issue.

Nous pouvons maintenant affirmer que Dostoïevski ne s’est pas trompé en faisant dire au starets Zosime (dans Les frères Karamazov) : « Chez nous, en Russie, l’activiste non-croyant ne réussira point… Le peuple affrontera l’athée en face, il le vaincra, et la Russie Orthodoxe renaîtra ».

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