Le père Serge et ses enfants

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Père Serge fut véritablement un PERE, dans le sens le plus filial du terme.

Il a adopté un certain nombre de personnes et son amour en a fait ses enfants, avant que des disciples.

De même que les enfants ne sont pas toujours ressemblants à leurs parents, de même ses enfants ont chacun suivi la voie qui était la leur devant Dieu; père Serge en ce sens les a véritablement engendrés, au sens fort du terme, en en faisant des personnes libres et uniques devant Dieu.

On m’a suggéré de parler de la méthode suivie par père Serge dans sa direction spirituelle. Mais en fait, il n’avait pas de méthode, mais seulement l’Evangile, le Christ lui même.

Le père Serge appartenait au petit groupe des premiers paroissiens de la paroisse des Trois Saints Hiérarques. L’atmosphère spirituelle y était d’une grande ferveur et d’une piété toute monastique, d’abord sous l’influence du métropolite Benjamin (Fedtchenkov), puis du recteur qui lui succéda, l’archimandrite Athanase (Netchaev). Le père Athanase laissa une empreinte très profonde sur tous ceux qui l’approchèrent. On retrouve chez le père Serge l’influence de ce grand ascète avec qui il mena les premières années de sa vie monastique.

Une courte citation d’un fils spirituel du père Athanase, le métropolite Antoine (Bloom) vous fera tout de suite comprendre quel homme il était:

« Après mes vœux, il continua à veiller, mais toujours à sa manière; je le rencontrai une fois dans la rue, lorsqu’il attendait un autobus; je m’approchais de lui: « Père Athanase, vous avez reçu mes vœux, mais vous ne m’avez pas donné de règle de prière »… Il me répondit: « Quelle règle te faut-il? Maintenant tu es moine – prie sans cesse! »

Le métropolite ajoute:

« Il ne me donna pas de règle: cherche, essaie de trouver par toi-même… (…): c’est votre vie spirituelle, vous connaissez Dieu à votre manière, alors trouvez Le à votre manière… »[1]

Père Serge lui aussi était un veilleur.

On ne peut être plus différent de monseigneur Antoine que ne l’était père Serge. Mais comme le père Athanase, le père Serge n’avait aucune recette, seulement le don de soi, absolu à Dieu et à son frère.

Sur cette Voie-là, si le don doit bien être absolu, il n’y a pas de règle, pas d’autre choix que « être soi-même« , sur le grand comme sur le petit versant de notre nature.

Le commandement du Christ qui caractérise le chemin personnel du père Serge est à mon avis celui-ci: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »[2]

« Il n’est pas permis d’aimer sincèrement le Créateur, écrit père Serge à une fille spirituelle, sans aimer l’œuvre de Ses mains. Aimez ceux qui vous entourent: c’est cela aussi la prière de Jésus. Avec chaque effort dans cette direction, tout de suite, de votre cœur jaillira « la source d’eau vive jaillissant jusque dans la vie éternelle[3]« . C’est cela l’amour de Dieu, la toute-allégresse[4] du Saint Esprit, et la prière incessante[5]. »

Père Serge a rencontré le père Grégoire (Kroug) et il s’est entièrement dévoué à lui, il s’est consacré à lui de tout son être. Il a modelé sa vie sur les besoins spirituels de père Grégoire, sur ce qui était nécessaire à son salut.

On peut mesurer ce don de soi quand on voit combien père Serge était florissant lorsqu’il est devenu prêtre, mais combien il s’était épuisé quand, trois ans plus tard, il a tonsuré moine père Grégoire. On sait que ce dernier, pendant la guerre, avait souffert de troubles qu’on dirait aujourd’hui psychiques. En fait, il s’agissait de troubles spirituels. Mais, à cause de cela, durant plusieurs années, père Grégoire avait vécu l’enfer. Aussi père Serge jugea-t-il nécessaire de le préparer au monachisme en lui assurant la paix de l’âme. Il lui évita ce qui aurait pu provoquer des rechutes et lui causer des dommages irréparables, en prenant sur lui-même les tentations qui devaient assaillir le novice.

Il n’y a pas eu de développement monastique autour du père Serge durant sa vie à cause de cela. A cela aussi il a lié son combat pour l’humilité: il se considérait comme un simple « compagnon de route », un « conseiller ».

« Allez librement [vers le Christ]. Sachez que c’est Lui notre Conducteur principal, notre Directeur et notre Maître, que tous les directeurs et les conducteurs d’ici-bas sont seulement des compagnons de voyage sur ce chemin et des conseillers – et rien de plus. Nous ne sommes en rien obligés vis à vis d’eux, ni eux vis à vis de nous. »[6]

Le père Serge est ainsi devenu le spécialiste des causes perdues, le médecin des cas désespérés. Sa méthode, il vaudrait mieux dire sa manière d’être (ἦθος), était différente avec chacun. Quand d’autres que père Grégoire lui ont été envoyées, il s’est consacré à eux avec le même dévouement, il a infléchi son orientation en fonction des besoins spirituels de ces personnes.

Par exemple, il rappelait quotidiennement à l’un d’entre eux qu’il lisait chaque jour « trente pages d’exorcismes » à son endroit, afin qu’il veillât sur lui-même avec le même soin qu’il mettait lui-même à le protéger. Si l’on a pris connaissance du poids spirituel que représente la lecture quotidienne de ces prières, on peut juger par là combien il consacrait sa vie à son enfant.

Je me souviens d’avoir entendu de lui un grand nombre de fois, moi qui lui demandait toujours des solutions toutes faites et des recettes:

« Mais voyons! Vous conduisez, n’est-ce pas? Sur la route, vous ne tournez pas systématiquement à droite ou à gauche! Vous tournez votre volant en fonction de la route qui s’ouvre devant vous, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre! Dans la vie spirituelle, il en est de même! Voyez vous-même, dans chaque cas, dans quel sens vous devez tourner! »

Une telle humilité et une telle consécration à l’autre est irrésistible.

Ce à quoi, il faut ajouter sa grâce, sa joie, sa lumière, sa légèreté, son amour spirituel, son extraordinaire beauté – son visage rayonnait d’une telle beauté invisible! Il était une véritable icône vivante! Auprès de lui la prière coulait toute seule! Sa seule vue chassait les tentations. Sa présence apportait instantanément la paix et l’ardeur au travail pour le Christ : l’eau de notre âme, toute troublée qu’elle soit, devenait instantanément claire! Les paroles en devenaient même inutiles ensuite : se confesser consistait souvent à se rappeler ce qu’on avait écrit chez soi, car il ne restait plus rien de la difficulté, de la souffrance, du découragement, des complications imaginées! En ce sens, il obtenait des miracles des fidèles qui venaient à lui. Son amour et sa prières les rendaient capables d’accomplir des choses qui leur auraient autrement paru absolument impossibles et irréalisables, qu’ils ne se seraient jamais crus capables de faire. L’Evangile ou rien!

Aussi insistait-il sur le fait de ne jamais se résoudre à choisir de deux maux le moindre. Il fallait toujours prier Dieu pour éviter et l’un, et l’autre mal et agir en conséquence.

Je voudrais conclure ainsi : père Serge a été vraiment un Apôtre du Christ.

Le groupe qui a fondé la paroisse des Trois Saints Hiérarques avait centré sa prière et son action sur l’Apostolat: prêcher l’Orthodoxie à l’Occident. Père Grégoire considérait lui-même le travail des émigrés russes en France de cette manière. C’est pour cela qu’il a représenté non seulement les Apôtres, sur les fresques qu’il y a peintes, mais qu’il a représenté les Anges et les Saints avec la même bande de mission qui est en principe réservée au Christ et aux Apôtres.

Père Serge, comme saint Paul, est celui qui a engendré ses enfants:

« Je vous avertis comme mes enfants bienaimés. Car quand vous auriez dix mille maîtres en Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs Pères puisque c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Evangile. Je vous conjure donc, soyez mes imitateurs.[7]« 

Mais si vous vous souvenez bien, ce passage de la Première Epitre aux Corinthiens est précédé par quelques expressions très fortes par lesquelles saint Paul décrit la condition d’Apôtre:

 » Dieu, ce me semble, a fait de nous, apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à mort en quelque sorte, puisque nous avons été en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous à cause de Christ; mais vous, vous êtes sages en Christ; nous sommes faibles, mais vous êtes forts. Vous êtes honorés et nous sommes méprisés! …Nous sommes devenus comme les balayures du monde et le rebut de tous… »[8]

Tel était père Serge au moment de sa mort.

Il me semble que père Serge a récolté les fruits sur cette terre à travers ses disciples.

Il est Lui-même mort dans la pauvreté du Christ sur la Croix.

Mais il est ressuscité avec Lui!

Emilie van Taack, octobre 2014


[1] « L’archimandrite Athanase », in Messager de l’Exarchat du Patriarche de Moscou en Europe occidentale, n° 105-108, 1980-1981, p. 31.

[2] Saint Jean, 15,13.

[3] Saint Jean, 4,14.

[4] En russe: обвеселение

[5] Lettres à une fille spirituelle, Fragment n°4.

[6] Lettres à une fille spirituelle, Fragment n°10.

[7] 1 Corinthiens 4, 14-15.

[8] Ibid., 4, 9-10; 4,13.

Russe

Отец Сергий и его духовные чада

Отец Сергий по-настоящему был отцом, в самом глубоком смысле этого слова.

Он « усыновил «определённое число людей, и его любовь сделала их, прежде всего , его детьми , и лишь затем — его учениками.

Так же, как дети не всегда похожи на своих родителей, так и его «дети» следовали каждый своим собственным путем, который являлся именно их путём перед Богом. В этом смысле, самом сильном смысле слова, отец Сергий действительно рождал их, делая из них людей свободных и неповторимых перед лицом Божьим.

Меня попросили рассказать о методе, которому следовал отец Сергий в своем духовном направлении. На самом деле, у него не было метода, но только — Евангелие, Сам Христос.

Отец Сергий принадлежал к маленькой группе первых прихожан подворья Трёх Святителей, окормлявшихся в атмосфере высокого духовного горения и совершенного монашеского благочестия, вначале под руководством митрополита Вениамина (Федченкова), а затем, под началом сменившего его на должности настоятеля подворья, архимандрита Афанасия (Нечаева). Отец Афанасий оставил глубочайщий след на всех, кто к нему приближался. И в отце Сергии также находим следы влияния этого великого подвижника, с которым он провел первые годы своей монашеской жизни.

Короткая цитата духовного сына отца Афанасия, митрополита Антония (Блюма), сразу же поможет вам понять, каким человеком был отец Афанасий :

«После принесения мной обетов, он продолжал окормлять меня, но всегда на свой манер. Встретив его однажды на улице, когда он ждал автобус, я подошёл к нему: «Отец Афанасий, Вы приняли мои обеты, но Вы не дали мне молитвенного правила…» Он ответил мне: «Какое правило тебе нужно? Теперь ты — монах , молись беспрестанно !»

Митрополит добавил:

« Он не дал мне правила: — Ищи, постарайся найти сам… (…) это ваша духовная жизнь, вы знаете Бога по-своему, так найдите Его вашим способом…«[1]

И отец Сергий тоже был беспрестанно бдящим молитвенником.

Невозможно быть более отличным от Владыки Антония, чем являлся отец Сергий. Но как и отец Афанасий, отец Сергий не имел никакого рецепта, кроме абсолютной отдачи себя самого Богу и своему ближнему.

На этом Пути, предполагающем полную самоотдачу, нет иного правила, ни иного выбора, лишь только «быть самим собой» как в больших, так и в малых наклонностях нашей человеческой природы.

Заповедью Христа, которая характеризует личный путь отца Сергия, является, по моему мнению, следующая : « Нет больше той любви, как если кто положит душу свою за друзей своих »[2].

« Нельзя искренне дюбить Создателя — не любя дела Его рук. Любите окружающих Вас: это и есть Иисусова молитва. При всяком усилии в этом направлении сейчас из сердца будет источаться « Источник Воды Живой бегущей в вечную жизнь »[3] = то есть Любовь Божия, обвеселение Святаго Духа = или молитва непрестанная. »[4]

Отец Сергий встретил отца Григория (Круга) и полностью отдал ему себя, посвятив ему себя всем своим существом. Он построил свою жизнь на духовных потребностях отца Григория, на том, что являлось необходимым для спасения его души.

Можно измерить всю глубину самоотдачи отца Сергия, видя, каким цветущим он был, когда стал священником, и как он был измучен, когда три года спустя постригал в монахи отца Григория. Известно, что последний во время войны страдал от расстройств, которые сегодня назвали бы психическими. На самом деле, речь шла о расстройствах духовных. Из-за этого в течение многих лет отец Григорий жил в аду. Также отец Сергий считал необходимым приготовить его к монашеству, принося тем самым мир его душе. Он оберегал отца Григория от всего, что могло бы спровоцировать новые приступы болезни и причинить ему непоправимый вред, беря на себя искушения, которые должны были атаковать послушника.

Именно по этой причине при жизни отца Сергия вокруг него не произошло разрастания монашеской общины, а также из-за его борьбы за смирение: он считал себя просто «спутником в дороге, «советчиком».

« Свободно идите[ко Христу]. Знайте, что Он главный Руководитель, Наставник т Учитедь, а все здешние наставники и руководители только спутники на этом пути и советники — и болше ничево. Мы ничем им не обязаны и они нам.«[5]

Отец Сергий стал также специалистом безнадёжных случаев и врачевателем упавших духом. Его методика, стоило бы лучше сказать все его существо, являлась различной в каждом конкретном случае. Когда ему присылали других людей, он посвящал им себя с такой же самоотверженностью, как и Отцу Григорию. Он все менял в себе в зависимости от их духовных потребностей.

Например, ежедневно отец Сергий напоминал одному из них, чтобы тот наблюдал за собой с той же внимательностью, с той же заботливостью, с которой он сам защищал этого человека, читая за него каждый день «тридцать страниц запрещательных молитв» (чин изгнания злых духов). Если постигнуть , какой духовный груз представляет собой ежедневное чтение этих молитв, можно судить, в какой мере отец Сергий посвящал свою жизнь своему чаду.

Вспоминаю, как я, всегда просившая готовых решений и рецептов, неоднократно слышала от него :

«Ну что Вы! Вы водите машину, не так ли? На дороге вы не поворачиваете систематически направо или налево! Вы поворачиваете ваш руль в зависимости от дороги, открывающейся перед вами, то в одном направлении, то в другом! В духовной жизни — то же самое! Увидите сами в каждом случае, куда вы должны поворачивать!»

Такое смирение и такое посвящение другому неотразимы.

Вот чему нужно приписать его благодать, его радость, его свет, его лёгкость, его духовную любовь, его необычную красоту — лицо его излучало такую невидимую красоту! Он был настоящей живой иконой! Рядом с ним молитва текла сама собой! Один вид его прогонял искушения!

Его присутствие приносило тотчас мир и большое усердие к работе ради Христа: воды нашей души, как водится, смятённой, немедленно светлели. И затем даже слова становились бесполезными: исповедоваться часто означало напомнить себе прежде записанное, ибо не оставалось более ничего из трудностей, страдания, уныния, воображённых сложностей! В этом смысле, он достигал чудес с приходящими к нему верующими.

Его любовь и его молитвы делали этих людей способными выполнять такие вещи, которые прежде казались им абсолютно невозможными и невыполнимыми, которые они никогда не чувствовали способными совершить. Евангелие или ничто !

Он также настаивал на том, чтобы никогда не принимать решения, выбрав из двух зол меньшее. Надо было всегда молиться Богу, чтобы избежать и одного и другого зла и действовать соответственно этому.

Мне бы хотелось заключить таким образом: отец Сергий был действительно Апостолом Христовым.

Группа, основанная подворьем Трёх Святителей, сосредотачивала свою молитву и своё действие на Апостольском служении: проповедывать Православия на Западе. Отец Григорий считал труд русских эмигрантов во Франции таким же делом. Потому он представлял на написанных им фресках не только Апостолов, но и Ангелов, и Святых с лентой через плечо, знак мисси, которые обычно являются атрибутами Христа и Апостолов.

Отец Сергий, как и Святой апостол Павел, является тем, кто родил своих детей :

« Вразумляю вас, как возлюбленных детей моих. Ибо, хотя у вас тысячи наставников во Христе, но не много отцов; я родил вас во Христе Иисусе благовествованием. Посему умоляю вас: подражайте мне, как я Христу[6]

Но если вы хорошо помните, это место из Первого Послания к Коринфянам предвосхищено несколькими очень сильными выражениями, которыми святой Апостол Павел описал состояние Апостола:

«Ибо я думаю, что нам, последним посланникам, Бог судил быть как бы приговорёнными к смерти, потому что мы сделались позорищем для мира, для Ангелов и человеков. Мы безумны Христа ради, а вы мудры во Христе, мы немощны, а вы крепки; вы в славе, а мы в бесчестии <…> мы как сор для мира, как прах, всеми попираемый доныне…[7]»

Таковым был отец Сергий в моменте его смерти.

Мне кажется, что отец Сергий собрал плоды на этой земле через своих учеников.

Он Сам умер в нищете Христа на Кресте.

Но он воскрес с Ним!

Эмили ван Таак
Ванв
16 мая 2014


[1] «L’archimandrite Athanase», in Messager de l’Exarchat du Patriarche de Moscou en Europe occidentale, N. 105–108, 1980–1981, p.31.

[2] Евангелие от Иоанна, 15,13

[3] Евангелие от Иоанна, 4,14

[4] Письма к духовной дочери, фрагмент 4

[5] Письма к духовной дочери, фрагмент 10

[6] 1 Коринфянам, 4, 14-16

[7] 1 Коринфянам 4, 9-10; 4,13