Le combat pour la foi en URSS

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Janvier 1931

Le combat pour la foi en URSS[1]

Tour d’horizon 1930

Dans le domaine de la lutte contre la religion, l’année 1930 a commencé avec les slogans « écrasons la religion » (1), « liquidation de l’Eglise et complet anéantissement des préjugés religieux » (2). La campagne anti-Noël a été le point culminant du terrible assaut antireligieux, préparé à l’été 1929, qui, débutant à l’automne, s’est poursuivi rapidement et systématiquement. – Les églises ont été fermées par centaines, par exemple (3), dans la région de Blojest, où, de 1917 au 1er septembre 1929, sur 320 églises il en est resté 12 d’ouvertes, « au moment de la campagne anti-Noël, on en a fermé plus de 100 » ; « dans la région de Toula, sur 760 églises, de septembre à janvier on en a fermé 200 » etc. Au début de 1930, on a procédé à l’expulsion massive du clergé de la campagne à égalité avec les « koulaks ». Les « ministres du culte » qui se maintenaient encore dans certains endroits, vivaient sous une telle oppression que leur situation devenait tout à fait insupportable, du fait, principalement, des impôts qui dépassaient leurs moyens et dont l’absence de règlement entrainait inévitablement l’arrestation et la déportation.

A Pâques, la destruction des organisations religieuses devait se terminer par leur élimination presque totale, et à la fin de l’année c’est la religion elle-même qui devait être « liquidée ». « L’Athée au travail » (4) écrivait : « Pendant l’année 1930 nous devons transformer notre belle capitale en une Moscou sans dieu, nos campagnes en campagnes kolkhoziennes sans dieu ».

Cette « liquidation » violente de la religion s’est heurtée à une résistance solide des masses croyantes. Iaroslavski[2] a été obligé d’avouer qu’« en ce qui concerne la propagande antireligieuse l’absence de préparation sérieuse, la pensée que les choses peuvent se faire toutes seules, qu’on peut d’un simple assaut détruire la religion, conduit à des résultats parfaitement négatifs. » (5). Le résultat des méthodes violentes a été « l’accroissement du fanatisme religieux dans les masses ». Dans toute une série d’endroits la collectivisation a échoué du fait qu’elle était liée avec l’implantation forcée de l’athéisme. Il a fallu arrêter l’attaque athéiste et cela a signifié l’interruption de tout le plan qu’on avait fixé et produit finalement une terrible désorganisation dans le camp des athées. Le mouvement de protestation et d’indignation venu de l’étranger devant la politique antireligieuse extrémiste du pouvoir soviétique a eu aussi une influence importante. La sage politique du métropolite Serge et d’autres autorités religieuses qui n’ont pas cédé à la provocation du pouvoir a eu aussi une grande importance. La provocation consistait à les inciter à des actes qu’on aurait pu interpréter comme de l’opposition politique et qui auraient renforcé la position de ceux qui insistaient sur la prolongation du mouvement antireligieux extrémiste. Comme on sait, la politique de provocation du pouvoir soviétique à l’égard des chefs responsables de l’église s’est manifestée à cette époque par l’histoire scandaleuse du fameux « interview », qui implique ceux à qui, malheureusement, il est arrivé et il arrive encore d’écouter des jugements non fondés et injustes à l’égard du métropolite Serge, l’accusant d’un crime qui en réalité était un tragique sacrifice.[3]

Le renoncement à la réalisation du plan de « liquidation accélérée des préjugés religieux » a été annoncé d’abord par l’article bien connu de Staline « Le vertige des succès » (2 mars) et ensuite par la circulaire du Ts. K. V.K. P. (Comité Central du Parti Communiste Pan soviétique), publiée le 15 mars. Dans cette circulaire on juge « tout à fait inadmissibles les déviations de la ligne du parti dans le domaine de la lutte contre les préjugés religieux ». Les meneurs les plus zélés et les plus conséquents de la ligne extrémiste ont été déclarés « vieilles ganaches » et « déviationnistes » et même dans certains cas ont été soumis à la répression. Les chefs de la politique soviétique, conformément à leur habitude, ont fait retomber sur les petits exécutants de leurs propres dispositions la responsabilité de l’échec de leur politique de contrainte antireligieuse.

Après ce virage, est apparu un « mauvais état d’esprit »: le parti, dit-on, même dans le travail antireligieux, fait marche arrière, recule par rapport à la ligne décidée (6) : « quelques organisations athéistes font mal leur travail, en ne s’opposant pas du tout à l’agitation koulako-cléricale » ; « les koulaks, les prêtres, les éléments antisoviétiques relèvent la tête» (7) ; « beaucoup de régions et de districts sont tombés dans un autre excès : ils essaient d’ouvrir en bloc toutes les églises » (8). « L’Athée » du 30 mai se plaint que maintenant « ici et là, dans les organisations de la S.V.B. (« Union des athées militants ») règne la confusion sur cette question : flottement et hésitations, balancement de gauche à droite et à nouveau à droite, dépression et abattement »…

Les fêtes de Pâques, qui devaient être l’achèvement victorieux de l’assaut contre la religion, se sont en réalité passées, d’après le témoignage des correspondants étrangers, dans une atmosphère relativement plus festive que le Noël passé.

Certes, le zigzag de la politique de Staline n’a été qu’une marche arrière provisoire et partielle ; il n’a signifié aucun changement dans le comportement du parti communiste à l’égard de la religion. Selon l’affirmation de « L’Athée » (9) « il ne peut être question de changer quoi que ce soit dans la politique du parti ». « La ligne du parti communiste est la ligne de la lutte résolue et implacable contre la religion » (10), par contre on ne peut pas ne pas voir que ce virage a eu un effet démoralisant sur les athéistes, et d’un autre côté, a enhardi et donné un regain d’activité aux défenseurs de la religion.

Sur ce regain de l’activité religieuse, une documentation très abondante est apportée par la presse athéiste. Elle souligne que « dans les conditions de l’exaspération de la lutte de classe, les cléricaux et les adeptes des sectes sont passés à l’offensive déclarée » (11). Cette même revue (12) se plaint que « les organisations religieuses …renforcent leurs activités ». « L’Eglise ne veut pas mourir. Elle saisit par les mains des koulaks enragés toutes les occasions de se renforcer et même de passer à la contre-attaque, profitant des excès qui se sont produits cet hiver lors de la collectivisation » (13).

« Vivant d’expédients dans les conditions, gênantes pour lui, du système soviétique, l’ennemi de classe passe à la contre-attaque. » (14)

Ce qui effraie particulièrement les athées, c’est « la subtilité et la souplesse des religieux » qui « consiste en ceci qu’ils essaient maintenant de se teindre en couleur soviétique » (15).

« Les prêtres et les adeptes des sectes essaient de tromper les travailleurs pour garder leur influence sur les masses et les mener…De la prêtraille débrouillarde on peut tout attendre » (16). « La débrouillardise des religieux qui essaient de donner à leur essence contre-révolutionnaire un extérieur « soviétique » de la plus belle eau doit être démasquée à chaque pas » (17).

La réunion du parti qui s’est tenue dans les premiers jours de septembre pour discuter de la question du travail antireligieux, a accordé une particulière attention au fait que « les cléricaux s’attachent de plus en plus à « prolétariser » leurs rangs en attirant dans les conseils des églises des travailleurs. Ainsi, il y a 6 ouvriers au conseil de la communauté de la Trinité Saint Serge. Le président du conseil d’église sur la voie ferrée de Riazan-Oural est un ouvrier etc. » (18).

Dans le district de Kinechem un prêtre « pour déguiser son activité d’agitateur, s’est fait journalier. Et voilà que ce « journalier » rassemble, de temps à autre, les pauvres et les paysans moyens et fait de l’agitation chez eux… » Finalement « ce contre-révolutionnaire en soutane a attiré de son côté une masse importante de paysans (paysans moyens et pauvres) » (19). « Les religieux » dans beaucoup d’endroits ont une grande influence sur les ouvriers. L’athée au travail (20) remarque que « des artels entières, pour des considérations religieuses, ne travaillent pas les jours de fête ».

Cette influence s’étend même aux membres du parti communiste et du komsomol. L’Athée au travail se plaint de ce que « chez une partie des travailleurs on observe des hésitations et des flottements, allant souvent jusqu’à des attitudes de compromis dans la lutte contre la religion » (21). A l’usine de verre de Micheron (région de Moscou), dans beaucoup d’appartements non seulement d’ouvriers, mais « même de membres du parti, de komsomols on suspend des icônes ». « On observe ponctuellement les fêtes religieuses » (22). La même revue raconte que dans une localité du territoire de Nijni-Novgorod « des prêtres ont tourné la tête à un membre du parti. » Ce qui est fâcheux, ajoute L’Athée, ce n’est pas que de nos rangs il y ait quelqu’un qui déraille, mais ce qui est fâcheux, c’est que des petits prêtres aient pu vaincre, qu’ils essayent par la ruse d’affaiblir nos rangs, et que nous ne répondions pas en résistant comme il convient ».

On pourrait s’arrêter encore sur une série d’exemples – du secrétaire de cellule du komsomol (dans la région de Riazan) qui croit en Dieu, croit au miracle du renouvellement des icônes, du diacre Goussev « ancien communiste et travailleur responsable de district », qui « contribue de façon importante à la réputation d’une source miraculeuse », « du prêtre qui invite à des soirées littéraires paysannes dans la maison du gardien de l’église » etc., mais les dimensions du présent tour d’horizon ne le permettent pas.

Il conviendrait de s’arrêter spécialement sur la façon dont « l’église corrompt nos enfants » (23). La lutte pour la religion présente un intérêt particulier à l’intérieur des kolkhozes qui idéologiquement devraient être absolument athées et en fait souvent ne le sont pas.

La presse antireligieuse donne aussi une documentation importante qui témoigne que le regain de l’activité des masses croyantes s’accompagne souvent d’un grand élan religieux, dû particulièrement à différents phénomènes miraculeux qui cette année, à en juger par la presse athéiste, ont été particulièrement nombreux. L’athée au travail raconte « les campagnes de masse des cléricaux, se manifestant dans le « renouvellement massif des icônes » (24). Dans le numéro 16 de la même revue, on raconte que « ces derniers temps, dans la région de Riazan, les renouvellements d’icônes sont devenus plus fréquents. Y ont travaillé ardemment des prêtres et des sectaires qui se sont déplacés dans la région de Riazan, venant même de Kiev. » Sur ce sujet on a toute une série d’informations qui parviennent d’autres endroits, par exemple sur la naissance de « sources saintes » connues pour les guérisons et sur d’autres phénomènes miraculeux. Il y a aussi des informations intéressantes qui se glissent dans la presse athéiste sur différents saints starets, sur des pèlerins etc. Tout cela témoigne de la grande intensité de la vie religieuse dans des couches importantes de la population russe.

En ce qui concerne le mouvement athéiste, d’un côté, il faut remarquer la croissance importante en nombre de l’« Union des athées militants » (3.500.000 membres si l’on en croit « L’Athée » du 13 août), mais d’un autre côté, d’après le témoignage de la même presse antireligieuse, beaucoup de membres de l’union sont des « athées pour rire » (25). « Nous nous appuierons sur les faits. Au nœud ferroviaire de Konotop, il y a 12.000 ouvriers, et parmi eux 3000 sont membres de l’Union des athées militants », mais 60% d’entre eux sont des membres sur le papier. Ils ne font aucun travail, et même n’ont pas payé leurs cotisations depuis 5 à 10 mois… Dans de nombreux cas, des gens qui sont inscrits sur les listes des athées ont passé les fêtes religieuses à se promener », L’Antireligieux se plaint aussi de « la basse qualité du travail des organisations athées » (26). Et dans L’Athée au travail nous trouvons l’aveu suivant :

« Il y a des cas où les membres de l’’Union des athées militants, discréditent par leur manière de vivre autant les athées que le pouvoir soviétique » (27).

En général, on a l’impression que jusqu’à maintenant les athées ne se sont pas remis du coup qui leur a été asséné au printemps dernier quand a échoué l’attaque qu’ils ont lancée contre la religion. « Ils ont été si abattus que, même au moment où on a renforcé toutes les formes de répression et de terreur (en rapport avec les échecs du plan quinquennal), ils n’ont pas fait preuve à l’égard de la religion d’un activisme particulier et ne se sont pas décidés à accroître les méthodes de contrainte. Les résultats des « excès de gauche » de l’hiver sont lamentables.

Tout cela, bien sûr, ne signifie pas que le pouvoir communiste a interrompu la lutte contre la religion. En renonçant à certaines méthodes les plus extrêmes de contrainte, il a en même temps laissé en vigueur tout le système d’étouffement planifié de la religion et même le développe et l’étend peu à peu toujours davantage. L’éducation dans l’esprit athéiste des jeunes générations, la suppression définitive du repos du dimanche, différents modes de répression directe et cachée de la religiosité et beaucoup d’autres choses encore – tout cela place les organisations religieuses et les croyants individuels dans une situation incroyablement pénible et difficile.

A la fin de l’été, on a essayé de lancer une nouvelle campagne « de choc » contre le clergé, qu’on a accusé de façon inconsistante de dissimuler des devises. On a publié dans les journaux des dénonciations, on a informé de l’arrestation de membres du clergé sous ce chef d’accusation. A certains endroits l’affaire est allée en justice (à Tver, le prêtre Gvozdev a été condamné à mort). Mais ensuite cette campagne est tombée dans l’oubli.

A l’automne, « sur le front de la lutte contre la religion », si l’on en croit Pauvreté du 20 novembre, il y eu une accalmie. Un certain regain d’activité a pu être observé mais seulement à l’approche de la campagne anti-Noël. Dans les journaux on publie des appels grandiloquents, des ordres, des circulaires etc. Mais nous ne pourrons juger qu’après les fêtes ce que sera dans la réalité cette « campagne de choc ».

Traduction Yves Avril

Notes

1) L’Antireligieux, N°1. 1930

2) Komsomolskaia Pravda, 17/1 1930

3) L’Antireligieux, N°3.

4) L’Antireligieux, N°4.1930

5) L’Athée, 25.III. 1930.

6) Komsomolskaia Pravda, 30/IV

7) L’Athée au travail, N°7.

8) L’Athée au travail, N°7.

9) L’Athée, 25/IV

10) L’Athée, 25/V.

11) L’Athée au travail, N°19.

12) L’Athée au travail, N°16.

13) L’Athée au travail, N°16.

14) L’Athée au travail, N°16.

15) L’Athée au travail, N°19.

16) L’Athée au travail, N°19.

17) L’Athée au travail, N°19.

18) L’Athée au travail, N°19.

19) L’Athée au travail, N°19.

20) L’Athée au travail, N°19.

21) L’Athée au travail, N°19

22) L’Athée au travail, N°17-18.

23) Ibid.

24) L’Athée au travail, N°19.

25) L’Athée au travail, N°17-18.

26) L’Antireligieux, N°6.

27) L’Athée au travail, N°19.


[1] Les chiffres en gras renvoient aux notes à la fin du texte.

[2] Rédacteur en chef de L’Athée. (Note du Traducteur).

[3] Il n’entre pas dans le plan du présent article d’analyser la question du rôle des chefs responsables de l’Église dans les événements de l’année passée. C’est un sujet tout à fait particulier. Aujourd’hui signalons simplement la réponse réfléchie et profondément sentie de I.A. Lagovski à G.P. Fedotov (Messager de novembre 1930), publiée dans le numéro de décembre du Mesager. Il est difficile de ne pas être d’accord avec les arguments principaux de I.A. Lagovski, apportés pour la défense de la ligne suivie part le métropolite Serge. (Note de l’Auteur)

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